Paname : pourquoi étudier une ville ?
Canicules, inondations … on le constate assez régulièrement : les phénomènes météorologiques extrêmes, rendus plus fréquents par le changement climatique, sont ressentis de manière plus intense en ville. En parallèle, par leur structure et la nature des sols et des bâtis, les villes ont des impacts sur les phénomènes météorologiques au quotidien, notamment via les processus d'échange entre la surface et l'atmosphère. Cette modification des phénomènes météorologiques a, à son tour, un effet sur la pollution de l'air et la chaleur en ville et dans les zones péri-urbaines, avec à la clé des impacts sanitaires. Cependant, des obstacles se dressent encore pour comprendre la météorologie spécifique des villes. Afin d’aider les décideurs publics à apporter des solutions efficaces et à mieux anticiper les phénomènes météorologiques extrêmes, il s’avère crucial de mieux comprendre et représenter les processus d'échange entre la surface et l'atmosphère, ainsi que leurs impacts sur le transport de chaleur et de pollution.
Les villes : un objet météorologique à part
Quand on pense à la météorologie d’une grande ville, on pense surtout à la pollution de l’air. Pour autant, la pollution, bien que prégnante, n’est pas le seul phénomène à prendre en compte. La météorologie urbaine est complexe : la manière dont l’air circule, la présence de végétation, les différents types de sols et leurs échanges avec l’atmosphère, la structure tridimensionnelle de la ville, l’hétérogénéité des surfaces d’une manière générale, les émissions de chaleur liées aux activités humaines, sont autant de phénomènes dont les effets combinés sont encore mal appréhendés à ce jour et qui nécessitent tous des campagnes spécifiques pour enrichir les données.
Les villes sont en effet émettrices de composés chimiques, liés pour la plupart à l’activité humaine. Il s'agit par exemple des oxydes de carbone, de soufre, d'azote, des particules atmosphériques … Ce sont des polluants primaires, qui n’affectent pas tous directement la qualité de l’air. La végétation elle-même émet des composés gazeux, dits biogéniques, comme les composés organiques volatils (COV). Qu’ils soient biogéniques ou anthropiques, ces composés chimiques primaires réagissent au rayonnement solaire et interagissent entre eux et avec les oxydants présents dans l’atmosphère : ils produisent ainsi des polluants secondaires, dont l’ozone est un des plus connus. Ce n’est que lorsque les espèces chimiques rejetées dans l'atmosphère nuisent à la santé humaine et/ou à l’environnement qu’on parle de pollution de l'air. Dans le milieu urbain, où les polluants primaires et secondaires sont nombreux et variés, il importe particulièrement de comprendre comment ils se forment, se dispersent et se recombinent. Les interactions avec la végétation de la ville et des alentours sont essentielles pour espérer proposer des stratégies efficaces de réduction de pollution.
L'effet d'îlot de chaleur urbain (ICU) commence à être bien connu : la température de l'air dans l'environnement bâti est plus élevée que celle de l'environnement rural, notamment en début de soirée et la nuit. En effet, en ville, l'énergie solaire est emmagasinée pendant la journée dans les matériaux des bâtiments et dans d’autres surfaces imperméables comme les chaussées routières ; les sources anthropiques de chaleur sont significatives, et le refroidissement nocturne limité car le rayonnement infrarouge est piégé dans la structure tridimensionnelle de la ville. Le vent, la pluie ou les nuages peuvent réduire les ICU, tandis qu’ils sont amplifiés en présence d’un fort anticyclone et du fort ensoleillement. Le changement climatique n’est pas responsable de l’effet d’ICU, mais il peut influencer de manière très complexe l’intensité ou la durée des ICU suite aux changements régionaux de précipitation, d’humidité des sols, et du vent. Si le phénomène d’ICU est bien connu, on constate cependant beaucoup de différences d’un quartier à l’autre, selon l’orientation des rues et leur exposition aux vents et au rayonnement solaire, la végétation et sa nature, la taille et la hauteur des bâtiments, la nature des matériaux, ainsi que les émissions de chaleur liées aux activités humaines, notamment résidentielles, industrielles ou de transports. Ainsi la température peut varier de plusieurs degrés d’une rue à l’autre. L’ICU aggrave les conséquences des canicules, comme cela a été dramatiquement observé lors de la canicule de 2003, avec 15000 décès supplémentaires en région parisienne. Par ailleurs, il peut souvent être cumulé avec une forte pollution, les conditions qui sont propices à l’un étant propices à l’autre. Mais comment évaluer l’impact de chacun de ces phénomènes ? Avec l’augmentation attendue de la sévérité des périodes de canicule dans les années futures, on voit là tout l’intérêt à prendre en compte ces données dans le cadre de ce qu’on appelle la planification urbaine.
D’autres spécificités du climat urbain existent comme par exemple le lien, assez complexe, entre villes et orages, qui été remarqué mais encore assez peu étudié. Ainsi, on a parfois constaté que des cellules orageuses pouvaient être séparées en deux par la ville et qu’en conséquence, les zones périurbaines étaient plus touchées, ou encore que les températures, plus chaudes, de la ville, pouvaient intensifier les orages après l’avoir traversée. Par ailleurs, on pense que les particules atmosphériques (aérosols) liées à la pollution peuvent modifier la structure des gouttelettes dans les orages.
Les zones urbaines contribuent à une grande partie des émissions anthropiques de gaz à effet de serre, qui sont une des causes principales du changement climatique. La réduction des émissions de gaz à effet de serre par les villes (avec l’objectif de “neutralité carbone”) est donc un enjeu majeur pour les villes car les effets du changement climatique y sont amplifiés, via des phénomènes météorologiques plus intenses, impliquant des situations de pollution de l’air, de chaleur ou de précipitations plus intenses.
La météorologie urbaine : un enjeu majeur …
Tout cela est d’autant plus important que plus de 70 % de la population européenne vit désormais dans des zones urbaines. Pour réduire l'empreinte carbone humaine, rendre les villes plus résilientes aux climats futurs et améliorer la qualité de l'air, des changements fondamentaux sont nécessaires dans la construction des villes, le comportement humain et la gestion des territoires ruraux. Les villes sont ainsi des environnements qui concentrent une grande partie des défis de l'atténuation et de l'adaptation au changement climatique.
Les problématiques identifiées plus haut ont des impacts sanitaires majeurs. La pollution atmosphérique figure parmi les trois principaux facteurs de risque de maladie et de décès dans le monde. L’exposition à la pollution de l’air favorise le développement de pathologies chroniques graves, en particulier des maladies cardiovasculaires (infarctus, accident vasculaire cérébral) et respiratoires, et des cancers. Selon une étude d’Airparif, l'organisme indépendant chargé de surveiller la qualité de l'air dans la région, et l'Observatoire régional de la santé, des scientifiques ont estimé que près de 8 000 décès prématurés pourraient être évités en Ile-de-France chaque année si les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de qualité de l’air étaient respectées. Ces recommandations ont d’ailleurs été revues à la baisse en septembre 2021 par l’OMS suite à différentes études montrant des impacts sanitaires significatifs de l’exposition à des niveaux de polluants encore plus faibles que ce qui était auparavant estimé. Une étude place Paris au 4e rang des villes européennes pour la mortalité due à l’exposition au dioxyde d’azote (NO2).
S’y ajoute un deuxième risque majeur pour la santé, responsable d'un grand nombre de surmortalités : le stress thermique. Ce terme désigne «le fait que certaines fonctions vitales du corps humain risqueraient de ne plus être assurées si les chaleurs sont trop importantes : déshydratation, difficultés de circulation sanguine, problèmes cardiovasculaires essentiellement[1]». En raison de l'effet d'îlot de chaleur urbain, les habitants des villes n’arrivent pas toujours à récupérer de la chaleur de la journée, ce qui, sur plusieurs jours, entraîne des répercussions médicales. Contrairement à ce qu’on pense, la canicule ne touche pas que les personnes très fragiles et déjà hospitalisées. En 2003, les trois quarts des décès dus à la canicule ont eu lieu au domicile, et non à l’hôpital.
Les températures élevées étant de plus en plus courantes en Europe, les citadins devraient subir des conséquences amplifiées du changement climatique.
… mais encore beaucoup d’incertitudes
Cependant, des verrous scientifiques existent encore pour comprendre la météorologie spécifique des villes et ses impacts, y compris sanitaires. Afin d’aider les décideurs publics à apporter des solutions efficaces, il s’avère crucial de mieux comprendre et représenter les processus d'échange entre d’une part la surface (bâtiments, rues, végétation, activités humaines) et l'atmosphère, et d’autre part leurs impacts sur le transport de chaleur et de pollution. L’environnement urbain est d’ailleurs un enjeu prioritaire identifié lors de la prospective transverse réalisée par l’Institut national des sciences de l’Univers (INSU) rendue publique en 2021, à étudier en interdisciplinarité forte et acteurs de terrain. Les villes et leur évolution future constituent aussi une des cinq missions lancées par la Commission européenne à l’horizon 2030.
Face à ces multiples enjeux, plusieurs initiatives et projets de recherche ont émergé ces dernières années. Une dizaine de campagnes se tiennent ou se tiendront prochainement en région parisienne, se concentrant pour certaines entre mi-juin et mi-juillet 2022, et pour d’autres sur une période plus longue jusqu’en 2024. Une convergence assez inédite et non concertée initialement, mais dont la communauté scientifique a saisi l’opportunité pour tisser des synergies entre les études des différents phénomènes, optimiser le dispositif de mesures déployé et mutualiser certains instruments, et enfin construire un portail d’information et d’accès aux données commun. Cette mise en synergie justifie le regroupement de ces campagnes en une appellation commune : Paname (PAris region urbaN Atmospheric observations and models for Multidisciplinary rEsearch).
Les campagnes ont chacune leurs objectifs bien spécifiques, que l’on peut regrouper en plusieurs catégories : celles qui s’intéressent à la spécificité du climat urbain dans l’objectif de mieux le modéliser, celles qui s’intéressent à la qualité de l’air, et enfin celles qui s’intéressent aux effets du climat et de la qualité de l’air sur la santé. Elles permettront aussi de progresser sur la compréhension et la quantification du rôle des villes vis-à-vis des émissions de gaz à effet de serre. Comme on peut le deviner, certaines cochent plusieurs cases, tout étant relié.
Ces projets vont s’appuyer sur des progrès récents des simulations numériques et des technologies de mesure pour étudier les processus dans l’environnement urbain, avec un niveau de détail sans précédent. Sur les quais de Seine, dans les rues de Paris, sur les toits de Jussieu, sur la grue du chantier de Notre-Dame, sur le plateau de Saclay ou dans la forêt de Rambouillet, vous pourrez peut-être repérer un avion, des ballons, des stations météo, des lidars et surtout des scientifiques en quête de nouvelles données ! Ils devraient faire réaliser un bond salutaire à nos connaissances sur l’atmosphère urbaine.