Retrait précoce de la glace et puits de CO2 anormal dans l’Atlantique sud en été austral 2022

Résultat scientifique Océan Atmosphère

Une étude menée par une doctorante au CNRS Terre & Univers, publiée dans Biogeosciences, examine un puits de carbone océanique exceptionnellement fort pendant plus de deux mois en 2022 dans la région de l’île Bouvet dans l’Atlantique Sud.  Ce phénomène, observé grâce au projet SO-CHIC (« Southern Ocean Carbon and Heat Impact on Climate ») est attribué à une floraison massive de phytoplancton, en novembre 2021, déclenchée par un retrait précoce de la glace de mer. Ceci a entraîné une forte absorption de CO₂ par le phytoplancton. Les eaux ainsi appauvries en dioxyde de carbone dissous ont ensuite été transportées vers la zone étudiée, où une baisse record de fCO₂ océanique a été mesurée par la bouée CARIOCA. Ce mécanisme, amplifié par le changement climatique, pourrait intensifier le rôle de l’océan Austral comme puits de carbone, dans certaines régions.

L’océan Austral entourant l’Antarctique est responsable d'environ 40% de l’absorption de CO2 anthropique des océans mondiaux (Mayot et al., 2023). Les conditions extrêmes de l’océan Austral rendent les observations directes très difficiles. En conséquence, les estimations de flux de CO2  entre l’air et la mer reposent sur des modèles numériques, des réseaux de neurones ou de méthodes d’interpolation qui restent incertaines et donnent souvent des résultats divergents  (Hauck et al., 2023). 

Campagne océanographique en mer de Weddell

Le projet européen SO-CHIC a été lancé afin de palier à ce manque, et lors d’une campagne en mer en janvier 2022, une bouée dérivante et un glider ont été déployés au nord-est de la mer de Weddell, vers 0 °E, 54 °S. Dans cette zone, les mesures de fugacité de CO2 océanique (fCO2) étaient anormalement basses en été austral 2022. 

Déploiement d’une bouée dérivante nommée CARIOCA (« Carbon Interface Ocean Atmosphere »), le 23 janvier 2022, à bord du navire S.A Agulhas II, lors de la campagne SO-CHIC (« Southern Ocean, Carbon and Heat Impact on Climate »).
Déploiement d’une bouée dérivante nommée CARIOCA (« Carbon Interface Ocean Atmosphere »), le 23 janvier 2022, à bord du navire S.A Agulhas II, lors de la campagne SO-CHIC (« Southern Ocean, Carbon and Heat Impact on Climate »).© Kirtana Naeck

Analyse lagrangienne : retracer le parcours des eaux

Pour cerner l’origine de cette anomalie, les données in-situ issues de la campagne SO-CHIC, ont été combinées à des observations satellitaires, à des produits de courants ainsi qu’à une analyse lagrangienne qui permettent de retracer l'origine des masses d'eaux échantillonnées. Ces analyses ont démontré qu’en novembre 2021, des eaux dessalées provenant du bord de glace en mer de Weddell ont été transportées vers la région subpolaire où elles sont arrivées en janvier 2022. Les auteurs suggèrent qu’un bloom phytoplanctonique survenu en bordure de glace à cette période aurait entraîné un appauvrissement en carbone des eaux environnantes. 

Les valeurs de fCO2 mesurées en janvier 2022 à 54°S, s’inscrivent dans la continuité de très faibles valeurs déjà observées en bordure de glace par des flotteurs BGC ARGO. Ces faibles valeurs ont probablement été atténuées par des échanges air-mer de CO2 le long du trajet de la masse d’eau.

Des implications climatiques à surveiller

Cette étude suggère que le  retrait anormalement précoce de la glace de mer au printemps 2021 (Wang et al., 2022) a favorisé la migration d’eaux de surface fortement appauvries en carbone, vers des latitudes plus septentrionnales que d’ordinaire. Dans le contexte du changement climatique, de tels épisodes de retrait précoce de la glace pourraient devenir plus fréquents. Ils méritent donc une attention particulière, en raison de leur impact sur le rôle de l’Océan Austral comme puits de carbone.

Carte de salinité de surface de la mer en janvier 2022, en utilisant un produit de réanalyse océanique (Mercator).
Carte de salinité de surface de la mer en janvier 2022, en utilisant un produit de réanalyse océanique (Mercator). Les salinités de surface de la bouée CARIOCA (26/01/22 – 27/06/22) et du navire S.A Agulhas II (20/01/22 – 26/01/22) ont été superposéesdessus. Cette carte montre la présence d’une masse d’eau dessalée, à la position de la CARIOCA, à la fin du mois de janvier 2022. © Kirtana Naeck
Rétro trajectoires, en utilisant différents produits de courants marins (Oscar, Mercator, Globcurrent), superposées sur une carte de chlorophylle-a en novembre 2021
Rétro trajectoires, en utilisant différents produits de courants marins (Oscar, Mercator, Globcurrent), superposées sur une carte de chlorophylle-a en novembre 2021. Ces rétro trajectoires montrent que les eaux se trouvant à la position de la CARIOCA,à 0 °E, 54 °S, le 26 janvier 2022, provenaient du bord de glace, où il y a eu une forte floraison phytoplanctonique, le 1er novembre 2021. © Kirtana Naeck

Laboratoire CNRS impliqué

Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN) 

Contact

Kirtana NAECK
doctorante Sorbonne Université au Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN)
Jean-Baptiste Sallée
Chercheur CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN)
Jacqueline Boutin
Directrice de recherche au CNRS, Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN)