Les structures des minéraux sont-elles vraiment ordonnées ?
De nombreuses personnes perçoivent les cristaux comme l'incarnation d'un ordre parfait, une croyance qui a conduit à attribuer même des pouvoirs magiques aux minéraux. Cet ordre apparent nous a conduits à accepter que la cristallisation se produise par l'addition systématique de blocs de construction bien définis, généralement des ions ou des molécules. Pourtant, des expériences de laboratoire menées au cours de la dernière décennie remettent en question ce modèle classique ion par ion et montrent que la formation de matériaux cristallins peut impliquer une grande variété d'unités de construction - y compris des particules liquides, amorphes ou même nanocristallines - suivant une voie de cristallisation non classique.
Dans des travaux récents, nous avons montré qu'une voie de nucléation médiée par des particules est en fait imprimée dans les cristaux de CaSO4. Cette propriété nous donne l'occasion unique de rechercher des preuves de voies de nucléation non classiques dans les environnements géologiques.
Des chercheurs1 ont utilisé des cristaux d’anhydrite (CaSO4) bien formés, extraits de la mine de Naica au Mexique, qui se sont développés pendant des millénaires dans des conditions proches de l'équilibre, offrant ainsi un laboratoire naturel unique pour étudier la voie de cristallisation. Ils ont élucidé l'histoire de la croissance de ce minéral en cartographiant sa structure interne à l'aide d'une combinaison de techniques microscopiques et de diffusion des rayons X avancées. Ces analyses ont révélé que les défauts d'alignement à l'échelle nanométrique se propagent sur des échelles de longueur, entraînant finalement la formation de cristaux d'anhydrite mésostructurés de taille centimétrique contenant des vides anisotropes de différentes tailles. Ils montrent que ces défauts proviennent de la voie de nucléation médiée par les particules et créent ce que l'on appelle des "graines d'imperfection", qui conduisent à un cristal "unique" macroscopique dont les fragments ne s'emboîtent pas de manière autosimilaire à différentes échelles de longueur. Ces résultats complètent le concept récent de nucléation non-classique avec notre vision de longue date de la structure cristalline. En bref, la construction d'un cristal pourrait ainsi être considérée comme la nature empilant des blocs dans un jeu de Tetris, tout en oubliant lentement le concept de base du jeu et en ne parvenant pas à remplir complètement les rangées.
- 1Ce travail a été initié et mené conjointement par des chercheurs d'ISTerre (CNRS, UGA) et de BAM (Berlin, Allemagne) en collaboration avec des chercheurs du MPI (Potsdam, Allemagne), du GFZ Potsdam (Allemagne) et de l'ETZ (Zürich, Suisse).