Astéroïdes et comètes nous racontent l’histoire du Système solaire
Si le mot astéroïde évoque pour beaucoup la disparition des dinosaures, l’objectif principal des recherches sur ces petits corps célestes n’est pas leur surveillance. Ces cailloux de l’espace sont certes étroitement surveillés par les scientifiques, qui vont bientôt tester une technique pour les dévier, mais c’est avant tout parce qu’ils sont, avec les comètes, les plus vieux corps du Système solaire qu’ils fascinent tant les astrophysiciens ! À ce titre, ils peuvent en effet nous renseigner sur sa formation et son évolution. Après avoir longtemps dû se contenter de les observer avec des télescopes terrestres, les scientifiques ont réussi à envoyer des sondes les survoler, puis se poser sur leur surface, avant de pouvoir enfin en rapporter de petits échantillons sur Terre. Que nous racontent-ils et comment les fait-on parler ?
D’où viennent les astéroïdes et les comètes ?
Les astéroïdes et les comètes font partie des petits corps célestes en orbite autour du Soleil. Les astéroïdes sont, en grand majorité, des corps géologiquement morts composés de roches, de métaux et de glace. Les comètes sont constitués d’un noyau de glace et de roche qui entre en activité par sublimation (passage de l’état solide à l’état gazeux) de la glace lorsqu’elles se rapprochent du Soleil. Se forment alors une chevelure – un halo entourant le noyau et constitué de particules de gaz et de poussière – et deux queues – deux trainées lumineuses, une de gaz ionisé et une de poussière – qui peuvent s'étendre sur plusieurs dizaines de millions de kilomètres.
Ces petits corps sont apparus il y a plus de 4,5 milliards d’années, peu après le Soleil, au sein du disque de gaz et de poussière à partir duquel se sont formées les planètes. À l’origine, les planètes étaient également constituées de cette matière primitive, mais elles ont ensuite subi des processus d’échauffement, notamment de par leur grosse taille, qui ont transformé chimiquement la matière. Les petits corps sont restés suffisamment petits pour ne subir ce niveau d’échauffement, et leur composition actuelle est donc fidèle à celle d’origine. Cela fait d’eux les corps les plus primitifs que nous connaissons, les témoins des premiers instants du Système solaire.
De temps en temps, des objets venus d’autres systèmes rendent brièvement visite à notre Système solaire, tels que l’astéroïde interstellaire Oumuamua et la comète interstellaire Borisov, les deux seuls petits corps d’origine extrasolaire découverts à ce jour.
Comment les étudie-t-on ?
« La majorité de nos connaissances sur les petits corps proviennent d’observations faites depuis la Terre, explique Antonella Barucci, astrophysicienne planétologue au Laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique (LESIA, Observatoire de Paris). Repérer la position d’un petit corps à différents instants grâce à un télescope permet de décrire sa trajectoire, et étudier sa variation lumineuse à l’aide d’un photomètre nous donne sa période de rotation. La photométrie produit également des courbes de lumière dont l’inversion nous donne une idée de sa silhouette. Si l’objet est suffisamment proche, on peut connaître sa taille et sa forme plus précisément en envoyant des ondes dans sa direction et en étudiant le signal réfléchi (astronomie radar). Pour la composition chimique de sa surface, il faut faire appel à son spectre de réflexion et son albédo. » Le spectre de réflexion est la courbe qui représente la quantité de lumière réfléchie en fonction de la longueur d’onde. L’albédo est le pourcentage de la lumière reçue du Soleil qui est réfléchi. Selon les éléments chimiques présents en surface, certaines longueurs d’onde vont être plus ou moins réfléchies et l’albédo va être plus ou moins grand. Ainsi, les astéroïdes de type C, riches en carbone, réfléchissent davantage dans le bleu et sont extrêmement sombres (albédo autour de 3%) alors que ceux de type S, riches en matériaux silicatés, présentent un pic dans le rouge et sont plus brillants (albédo entre 10% et 20%).
Récemment, les progrès de l’optique adaptative – une technique qui permet de corriger en temps réel la dégradation des images par la turbulence atmosphérique – ont permis à l’instrument SPHERE, installé sur le site du Very Large Telescope au Chili, de prendre des photos d’astéroïdes. Par exemple, en 2019, une photo de l’astéroïde Hygiea a mis en évidence sa forme quasi-sphérique, permettant de le reclasser comme la plus petite planète naine du Système solaire.
Les techniques décrites ci-dessus sont valables pour les astéroïdes et les comètes se trouvant loin du Soleil. Lorsque celles-ci se rapprochent de notre astre et entrent en activité, on étudie plutôt leur chevelure et leurs queues. Grâce au spectroscope ultraviolet du télescope spatial Hubble, on peut identifier les molécules de la chevelure, tandis qu’une observation dans les domaines du visible et de l’infrarouge grâce à un télescope comme Alma permet d’analyser les ions présents dans la queue de gaz.
Les météorites – des fragments d’astéroïdes ou de comètes tombés sur Terre – sont également de précieux informateurs. En les étudiant, on a découvert qu’ils contiennent de l’eau et c’est ainsi qu’est née l’hypothèse de l’apport de l’eau sur Terre par les petits corps. « Néanmoins, il y a très peu de météorites issues de corps carbonés, appelées chondrites carbonées, qui arrivent jusqu’à nous car ces derniers sont extrêmement fragiles et ne résistent souvent pas à la dégradation de l’atmosphère », rappelle Antonella Barucci. Les chondrites carbonées ne représentent ainsi que 4,6 % des chutes de météorites.
Pour combler nos lacunes, nous décidons donc, dans les années 1980, d’envoyer des missions spatiales observer les petits corps de plus près. Mais pas de trop près non plus : les premières sondes gardent leurs distances. En 1986, la sonde Giotto de l’ESA (l’agence spatiale européenne) s’approche de la comète de Halley et prend la toute première image d’un noyau cométaire. En 1996, la sonde NEAR Shoemaker de la NASA est lancée vers l’astéroïde Eros pour un rendez-vous d’un an autour de celui-ci avant de finir sa mission en se posant dessus en 2001. Et bien sûr, en 2014, l’atterrisseur Philae de la sonde Rosetta de l’ESA atteint le sol de la comète 67P/Churyumov–Gerasimenko.
Ces dernières années, de plus en plus de missions vers des petits corps sont proposées par les laboratoires aux agences spatiales. « Ceci est motivé par le fait que chaque nouvelle mission révèle un nouveau monde, tant notre compréhension de ces objets est encore limitée, explique Patrick Michel, astrophysicien et directeur de recherche CNRS au Laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d'Azur). Lorsqu’on a le privilège d’être l’un des premiers à visualiser les premières images d’un astéroïde par une sonde, on se sent comme un véritable explorateur à la découverte d’un nouveau territoire. Il faut du temps pour vraiment comprendre ce que l’on voit, ce qui est totalement fascinant. De plus, ces objets intéressent plusieurs communautés : les scientifiques, les personnes chargées de la défense planétaire, et ceux qui les étudient pour les ressources qu’ils contiennent. Ainsi, peu importe l’objectif principal de la mission, les informations obtenues nourriront au moins ces trois communautés, ce qui les rend extrêmement enrichissantes. »
Que nous apprennent les petits corps ?
Mais comment ces objets célestes permettent-ils de retracer l’histoire du Système solaire ? Voici quelques exemples.
« Lorsque la sonde Rosetta a analysé la composition chimique de la glace de la comète 67P/Churyumov–Gerasimenko, on a découvert que les molécules organiques de la glace avaient une complexité et une abondance similaires à celles qui se trouvent dans les régions de formation des jeunes étoiles. C’est donc la même matière que celle des comètes qui contribue à la formation des étoiles et de leur cocon de poussière à partir duquel vont naitre les planétésimaux », explique Dominique Bockelée-Morvan, astrophysicienne et directrice de recherche CNRS au LESIA. Les petits corps sont donc bien les briques de base des systèmes planétaires, et en particulier de notre Système solaire.
L’étude du noyau de 67P/Churyumov–Gerasimenko a également été riche d’enseignements. Sa forme bilobée, assez courante chez les petits corps, indique qu’il est le produit d’une collision lente entre deux comètes. Quant à sa grande porosité (entre 75 et 85%), elle signifie que ces deux comètes d’origine se sont formées par accrétion de petits grains à faible vitesse. « Ce type de connaissance impose des contraintes aux conditions qui régnaient dans le Système solaire à l’époque et nous permet donc de mieux comprendre son évolution », précise Dominique Bockelée-Morvan.
Autre exemple : en observant la répartition des petits corps dans le Système solaire, les scientifiques ont pu valider la théorie du grand Tack (ou grande virée de bord) selon laquelle Saturne et Jupiter auraient migré, au début de leur histoire, vers le Soleil jusqu’à la distance de Mars, avant de rejoindre leurs positions actuelles. Les petits corps contenant de la glace se sont formés loin du Soleil, sur la périphérie du Système solaire, et on en retrouve pourtant aujourd’hui dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. Seule façon d’expliquer ce bouleversement de position : la migration des deux planètes géantes.
Pourquoi et comment rapporter des échantillons ?
Les instruments envoyés à bord des sondes permettent d’effectuer un certain nombre de mesures in-situ, mais ils n’ont ni toutes les capacités, ni la précision de nos laboratoires terrestres. Pour aller plus loin, il est nécessaire de rapporter des morceaux de petits corps sur Terre. « Grâce aux retours d’échantillons, on peut réaliser une analyse à l’échelle microscopique et la relier aux observations macroscopiques, souligne Dominique Bockelée-Morvan. Cette vision d’ensemble est essentielle pour percer les mystères de ces objets. » Mais la majorité des échantillons rapportés est conservée pour les générations futures qui auront des instruments encore plus puissants. Les retours d’échantillons fascinent et occupent ainsi des générations de chercheurs, comme ceux de la Lune rapportés par les missions Apollo que l’on continue à étudier.
En 2006, la mission Stardust de la NASA rapporte de la poussière cométaire sur Terre et en 2010, la sonde Hayabusa de la JAXA, l’agence spatiale japonaise, ramène des particules de l’astéroïde Itokawa. Des premières ! Motivées par ces réussites, les deux agences décident de retenter l’expérience, en visant cette fois des astéroïdes plus primitifs qu’Itokawa, et avec comme objectif de récupérer des échantillons plus conséquents. Hayabusa2, lancée en 2014 par la JAXA, devrait revenir sur Terre le 6 décembre 2020 avec deux échantillons d’au moins 100 mg de l’astéroïde Ryugu. Le retour d’OSIRIS-REx, lancée en 2016 par la NASA, avec à son bord entre 60 et 2000 g de l’astéroïde Bennu, est prévu pour 2023. Ryugu et Bennu sont des astéroïdes géocroiseurs, c’est-à-dire que leur orbite croise celle de la Terre. Ce sont également des astéroïdes du groupe C (carbonés), groupe dont on possède peu de météorites alors qu’il représente la majorité des astéroïdes. « Avec ces missions, on espère contribuer à répondre à deux grandes questions : comment notre Système est-il passé d’un disque de gaz et de poussière à un système planétaire, et comment la vie est-elle apparue sur Terre ? Caractériser les propriétés de surface et internes de géocroiseurs est également important dans le cadre de la défense planétaire, car selon leur constitution, les stratégies de déviation doivent être adaptées. D’autre part, l’étude rapprochée de ces deux astéroïdes est intéressante car il est possible qu’ils proviennent d’un corps parent. L’analyse des échantillons et leur comparaison va permettre de déterminer si cette possibilité s’avère robuste en réalité, ou seulement possible théoriquement. Cette hypothèse aura de fortes implications sur leur histoire et celle du Système solaire si elle se vérifie », indique Patrick Michel.
Mais quid des comètes ? Récupérer un échantillon de comète est techniquement plus compliqué étant donné leur activité. Dans le cadre de l’appel à projets de l’ESA pour la période 2035-2050, Dominique Bockelée-Morvan a proposé une mission baptisée Ambition qui pourrait rapporter, pour la première fois, un échantillon de glace et de gaz cométaires. Dans la capsule de retour, la glace serait conservée à température cryogénique, et les gaz dans un conteneur hermétique. En attendant que le verdict de l’ESA tombe, elle attend avec impatience, comme bon nombre d’entre nous, le mois de décembre et le retour d’Hayabusa-2.
Marie Perez