Mars, un continent caché ?

Explorations

La planète Mars possède une caractéristique majeure, c’est ce qu’on appelle sa « dichotomie » entre d’une part un hémisphère nord constitué de plaines basses et d’autre part un hémisphère sud présentant une altitude moyenne supérieure à 3 km.  L’origine de cette dichotomie est encore sujette à débats. Deux hypothèses prévalent : Un impact géant aurait « décapité » le nord de la planète ou bien un gigantesque volcanisme aurait recouvert les terrains de l’hémisphère sud.  Un épisode qui aurait eu lieu au moment de la formation de la croute, il y plus de 4 milliards d’années. Depuis, de grands bassins d’impact et des éruptions volcaniques ont modifié la surface de Mars. Quelle était la structure de la croûte de Mars avant la formation des principaux bassins d’impact et édifices volcaniques?

L’équipe de géomorphologues, géophysiciens et géochimistes à laquelle j’appartiens a appliqué une technique qui nous a permis de découvrir pour la première fois la structure interne de la croûte de Mars. Nous nous sommes d’abord appuyés sur les cartes topographique et d’épaisseur crustale de Mars, issus des mesures du champ de gravité de la planète. Ensuite, nous avons tenté de reconstruire l’épaisseur crustale. Nous avons considéré que les édifices volcaniques forment un excès de masse, que nous avons donc retiré de l’épaisseur crustale actuelle. Pour retirer les bassins d’impact, c’est plus délicat ! En effet, lors de la formation d’un bassin d’impact, la croûte est amincie dans le bassin, et épaissie autour de la dépression en conséquence de la mise en place des éjectas et de la déformation de la croûte pendant l’impact. La reconstruction proposée conserve la masse de croûte et revient à dérouler le film de l’impact en marche arrière. L’excès de masse autour de la dépression est injecté pour combler le déficit dans la zone amincie et retrouver une épaisseur de croûte homogène sur l’ensemble de la zone affectée par l’impact.

La carte d’épaisseur crustale révèle un bloc aux propriétés singulières dans la zone de Terra Cimmeria-Sirenum (Fig. 1b). Ce bloc s’étend sur une région vaste comme une fois et demi l’Europe. L’épaisseur de croûte dans cette région dépasse la cinquantaine de km, et on y trouve à la fois les plus fortes anomalies magnétiques (Fig. 1c) et des anomalies géochimiques (Fig. 1d et e). Sur Terre, de telles anomalies magnétiques sont observés au niveau des zone d’accrétion de microcontinents. Terra Cimmeria-Sirenum est également la seule zone de l’hémisphère sud où on observe en surface un enrichissement en potassium (K) et thorium (Th), ce qui suggère la présence d’une croûte continentale. Ces observations sont corroborées par la présence à grande échelle de roches riche en potassium cohérentes avec celles observées par la mission Curiosity (roches magmatiques riches en alcalins) dans le cratère Gale, situé au bord nord du bloc crustal décrit. Ce travail suggère donc la présence d’un continent en partie caché sous la surface cratérisée.

L’existence même de ce continent remet donc en cause les deux familles d’hypothèses concernant l’origine de la dichotomie martienne :  Le bloc crustal mis en évidence indique que la surface martienne n’a pas une origine unique et relance le débat sur les mécanismes de croissance crustale et d’une possible tectonique lors des 500 premiers millions d’années de l’histoire de Mars.

Auteur

Sylvain Bouley, Professeur à l’Université Paris Saclay et planétologue au laboratoire GEOPS
Membre Junior IUF

Légende

Figure 1 – a. Épaisseur crustale actuelle de la planète Mars – b. Épaisseur crustale de la planète Mars sans les bassins d’impacts et édifices volcaniques – c. Anomalies magnétiques – d. concentration en Thorium – e. Concentration en Potassium. La limite du bloc crustal Terra Cimmeria-Sirenum est indiqué en pointillé.