Une nouvelle chronologie du champ magnétique global martien
De toutes les planètes que nous connaissons, Mars est sans doute celle qui a le plus de similitudes avec la Terre. Elle représente de ce fait un objet d’études privilégié pour beaucoup de planétologues. Agée d’environ 4,5 milliards d’années, la planète rouge a perdu son champ magnétique global assez tôt : on datait jusqu’à présent sa disparition à 4,1 milliards d’années. L’analyse des données du satellite MAVEN a permis à une équipe de chercheurs canadiens, américains et français d’établir une nouvelle chronologie de son champ magnétique global. Membre de cette équipe, Benoit Langlais, chercheur au laboratoire de planétologie et géodynamique (LPG) à Nantes, nous décrypte cette découverte.
A quoi est dû le champ magnétique d’une planète ? Quelles sont ces implications ?
Il est dû à des mouvements de convection, à très grande échelle, et très profondément à l’intérieur de cette planète. La convection elle-même est liée soit à l’évacuation de l’énergie accumulée lors de la formation de la planète (c’est ce qu’on appelle la convection thermique), soit à la remontée du liquide provoqué par la cristallisation du fer au centre de la planète (convection chimique). Ces mouvements dans un fluide conducteur (le fer en fusion dans le noyau de la Terre) produisent un courant électrique, qui crée lui-même un champ magnétique. C’est l’effet dynamo. Comme les mouvements de convection sont aussi organisés par la rotation de la planète, la dynamo a tendance à être alignée sur l’axe de rotation d’une planète.
Si on voit un champ magnétique global dans une planète, cela veut donc dire qu’il y a des mouvements dans une couche fluide à l’intérieur de cette planète, et qu’elle est chaude. L’évacuation de cette chaleur, vers le sommet du noyau, réchauffe ainsi le manteau. Mais même si ce manteau est solide, il va aussi se mettre à « convecter », pour évacuer la chaleur reçue du noyau. Ces mouvements s’intègrent dans la tectonique des plaques, qui se traduit à la surface par du volcanisme, un phénomène qui contribue grandement à alimenter l’atmosphère d’une planète. Comme en plus le champ magnétique global tient le rôle d’un bouclier, protégeant l’atmosphère contre le vent solaire et ses effets, on comprend que le champ magnétique est très important.
Que savait-on du champ magnétique martien ?
En 1997, grâce au satellite MGS (Mars Global Surveyor), on a obtenu les toutes premières mesures orbitales qui nous ont fait comprendre que Mars n’a plus de champ magnétique global comme sur Terre. Il n’y a plus de dynamo, mais il y en a eu une dans le passé, qui a été enregistrée par les roches de sa surface. La question était donc de savoir quand le champ a cessé de fonctionner.
Sur Mars, on ne peut pas faire de terrain comme sur Terre … mais on peut regarder de manière globale les anomalies magnétiques. Dans l’hémisphère sud, il y a des terrains très cratérisés et très anciens. Or ils ne montrent pas de champ magnétique crustal : on pensait donc que la dynamo s’était déjà arrêtée quand les cratères gigantesques s’étaient mis en place, c’est-à-dire il y a environ 4,1 milliards d’années. Cependant, ce scénario d’arrêt précoce de la dynamo ne permettait pas d’expliquer toutes nos autres observations et ne nous satisfaisait donc pas complètement.
Quelles sont les données qui changent la donne ?
Le satellite MAVEN (Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN), lancé en 2013, a mesuré le champ magnétique à une altitude plus basse que MGS. Nous avons travaillé sur des mesures acquises au-dessus d’une structure volcanique proche de l’équateur qu’on appelle « Lucus Planum ». Cette structure est assez grande pour qu’on puisse la cartographier, estimer son épaisseur et également déterminer l’âge de la surface.
Il y a au-dessus de Lucus Planum une anomalie magnétique importante. Il est possible d’expliquer cette anomalie par une source se situant soit dans la structure volcanique, soit en dessous. Or on a aussi trouvé un minimum de champ magnétique au-dessus de cette structure, exactement au-dessus d’un cratère d’impact. Cet impact a localement détruit l’aimantation, et il est suffisamment profond pour avoir traversé toute la couche. On peut en déduire que le matériel aimanté se trouve nécessairement autour du cratère, donc dans la structure volcanique formant Lucus Planum. Ceci nous permet de la dater, en l’occurrence à 3,7 milliards d’années. Il est donc certain que la dynamo était toujours active à cette période. (A noter qu’on ne sait pas pour autant dater son arrêt !)
Comme nous avons aussi des indices sur l’épaisseur de la couche aimantée, environ 3km, cela signifie aussi que l’aimantation est très forte. Sachant que l’aimantation est proportionnelle au champ magnétique ancien, cela nous encourage à mener des études sur l’intensité du champ magnétique passé, qui aurait pu être 10 ou 100 fois plus intense que le champ terrestre.
En outre, la situation précise de l’aimantation et son épaisseur sont des données très intéressantes pour effectuer des simulations numériques, car cela donnera des contraintes fortes sur les scénarios de formation et d’évolution de Mars.
Quel est l’intérêt de mieux connaitre la chronologie de ce champ magnétique ?
Mars est âgé d’environ 4,5 milliards d’années. Si la dynamo a fonctionné jusqu’à 3,7 plutôt que 4,1 milliards d’années, cela signifie que sa durée a été le double de ce qu’on estimait !
Cela apporte des débuts de réponse à des choses qu’on ne comprenait pas, comme le maintien d’une activité volcanique à la surface qui nous semblait beaucoup trop importante pour la durée supposée de l’activité interne.
De plus, cela recoupe d’autres mystères de Mars à savoir : où sont passées son eau et son atmosphère ?
En effet, il y a des liens importants entre champ magnétique, volcanisme, atmosphère et eau :
- La construction d’une atmosphère se fait principalement avec du volcanisme : les volatils qui sont à l’intérieur de la planète sont piégés dans le magma qui remonte. Quand les laves arrivent à la surface, cela libère des quantités d’eau et dioxyde de carbone, qui créent l’atmosphère.
- On pense que le champ magnétique global est une protection contre l’échappement de l’atmosphère
- Une quantité importante d’eau liquide (et on sait que ça a été le cas sur Mars) implique une atmosphère relativement épaisse dans le passé.
Or cette eau a disparu. On ne la voit pas en quantité suffisante à la surface sous forme de glace dans les calottes polaires. Elle n’est pas dans l’atmosphère, puisque celle-ci n’est plus assez épaisse. On pense qu’elle s’est échappée dans l’espace. C’est dans ce contexte que MAVEN doit estimer la quantité d’eau qui a pu s’échapper de l’atmosphère martienne, depuis l’arrêt de la dynamo jusqu’à aujourd’hui. Pour ce faire, on comprend qu’il est nécessaire de tenir compte de la date d’arrêt de la dynamo.
Pourquoi le champ martien s’est-il arrêté de fonctionner ?
Probablement qu’il n’y avait plus de mouvements à l’intérieur. Le noyau est sans doute devenu trop froid. Ou bien, tout s’est cristallisé (le fer solide ne peut pas rentrer en convection), ou encore la couche de fer liquide est devenue trop fine…
Nous apportons désormais un début de réponse sur le « quand ». Des questions demeurent sur le « comment » et le « pourquoi » : on espère que les modélisateurs vont utiliser cette nouvelle contrainte pour travailler sur de nouveaux modèles de convection, expliquant la durée plus longue et l’arrêt plus tardif de la dynamo…
Quelles sont nos autres pistes pour en savoir plus ?
Dans l’idéal, il faudrait poser et déplacer un magnétomètre à la surface, mais c’est techniquement très complexe. L’alternative serait de collecter des échantillons et analyser leur aimantation. On a bien quelques échantillons aimantés qui sont tombés sur Terre sous la forme de météorites, mais aucun échantillon n’a jusqu’à lors été rapporté de Mars. C’est un des objets de la prochaine mission Mars 2020.
En attendant, nous pouvons également aller étudier d’autres zones avec les mesures satellitaires. C’est un travail fastidieux car il se fait à chaque fois à toute petite échelle. Mais nous avons commencé !
Quelles sont nos sources d’information ?
Ce sont essentiellement les satellites, situés au plus bas à 120-150 km d’altitude, qui embarquent pour certains (comme MAVEN et MGS) une suite instrumentale de magnétométrie, c’est-à-dire des capteurs qui mesurent localement le champ magnétique produit par des sources situées sous la surface de Mars. On fait pareil autour de la Terre et d’autres planètes.
Le champ magnétique, c’est une force avec une direction et intensité : il faut donc voler le plus près possible des sources car l’effet y est le plus important. Cela donne des infos sur la structure interne.
L'histoire magnétique d'une planète peut également être reconstituée en étudiant les roches aimantées qui se trouvent à la surface ou juste en dessous. Les minéraux magnétiques qu’elles contiennent sont des enregistreurs, surtout en contexte volcanique. Lorsque la lave se met en place, qu’elle se solidifie et que les roches refroidissent en présence d’un champ magnétique, certains minéraux, dont ceux contenant du fer, enregistrent l’intensité et la direction locale du champ magnétique, un peu comme l’aiguille d’une boussole. En caractérisant ces roches, et leur date de formation, les scientifiques peuvent estimer si une dynamo était active au moment de leur mise en place. On peut le faire sur Mars.
Par ailleurs, il y a les résultats de la mission InSight qui s’est posée fin 2018 sur Mars. InSight a pu faire des mesures du champ magnétique, mais en un seul point. Son magnétomètre a permis de confirmer au sol l’existence d’un champ magnétique crustal très important (dix ou cent fois plus fort que sur notre planète). Nous avons eu une petite surprise à la clé : les mesures prises montrent qu’on s’est trompé dans nos estimations d’un facteur de 10 (la valeur du champ mesuré est de 2000 nanoTesla au lieu des 200 prédits depuis l’orbite).
En savoir plus
Référence:
Timing of the martian dynamo: New constraints for a core fied at 4.5 and 3.7 Ga,
A. Mittelholz, C.L. Johnson, J.M. Feinberg, B. Langlais, R.J. Phillips, Science Advances