De la forme du soufre dans les fluides géologiques dépend la qualité des gisements d'hydrocarbures

Pourquoi certains grands gisements de métaux et de nombreux gisements d’hydrocarbures non-conventionnels sont-ils riches en soufre ? Les chercheurs de l’UMR GeoRessources (Université de Lorraine, CNRS, CREGU), de l’IRAP (CNRS, Université de Toulouse) et de l’Académie des Sciences de Russie (IGEM, Moscou) ont trouvé la réponse avec l'existence d'une forme encore mal connue du soufre, l'ion S3-. Cette étude est publiée dans la revue Earth and Planetary Science Letters.

Dans les roches sédimentaires enfouies jusqu’à plus de 5000 m, on a remarqué que si la présence de soufre peu permettre la précipitation des métaux comme le plomb et le zinc sous forme de sulfure, elle dégrade aussi la qualité et la quantité des ressources pétrolières et gazières. Le moteur de cette réaction chimique était resté mystérieux aux yeux des géochimistes depuis plus de 60 ans. En effet, le sulfure d’hydrogène (H2S), qui résulte de l’altération de roches sulfatées (avec SO4), est très pénalisant pour un producteur d’hydrocarbures par sa toxicité et la gestion des résidus de traitement. La sécurité et le coût limitent les conditions d’exploitation et c’est pourquoi de très nombreux gisements d’hydrocarbures contenant plus de 10% de sulfure d’hydrogène ne peuvent être mis en production. A ce jour aucune expérience de laboratoire n’avait pu reproduire le processus naturel responsable de la production massive de sulfure d’hydrogène et l’extrapoler aux temps géologiques.

Une équipe du laboratoire GeoRessources à Nancy, vient cependant d’en découvrir la clé en étudiant la nature des espèces du soufre dissoutes dans l’eau présente dans les pores des roches carbonatées. Sur la base d’une étude par spectrométrie Raman utilisant des micro-réacteurs (fins capillaires de silice), ces chercheurs ont montré qu’une nouvelle espèce chimique très simple, l’ion trisulfure de formule S3-, est le composé réactionnel essentiel sans lequel le mécanisme chimique ne peut se produire. Ce mécanisme nécessite la présence de sulfate de calcium (une variété déshydratée de gypse très fréquente dans les roches sédimentaires) et d’un donneur d’électron comme l’hydrogène ou le méthane (gaz abondants dans les bassins et les dorsales médio-océaniques). La forte réactivité chimique de l’ion radicalaire S3- facilite sa réduction même à basse température (100°C) pour produire de fortes quantités de sulfure d’hydrogène. Il est ainsi démontré que dans la nature, le mélange d’un fluide sulfaté avec un fluide sulfuré permet la formation de S3-. La production en abondance de sulfure d’hydrogène résulte donc de l’interaction entre S3- et les gaz donneurs d’électrons.

Cette découverte pionnière démontre le rôle majeur joué par les espèces du soufre de valence intermédiaire, comme l’ion trisulfure S3-, dans le cycle géochimique du soufre ce qui constitue une aide précieuse pour l’exploration. Elle lève un peu plus le voile sur les processus géologiques conduisant à la formation des plus gros gisements mondiaux de plomb et de zinc par précipitation sous forme de sulfure, ou sur la dégradation des hydrocarbures dans les réservoirs pétroliers. Le caractère fondamental de ces travaux de recherche ne les éloigne donc pas pour autant de certaines applications industrielles comme le stockage géologique des gaz acides (CO2, H2S, NOx, SOx), ou encore la prospection pétrolière et minière.

Sources

The role of S3- ion in thermochemical sulphate reaction : Geological and geochemical implications. Truche, L., Bazarkina, E., Barré, G., Thomassot, E., Berger, G., Dubessy, J. & Robert, P. (2014). Earth and Planetary Science Letters 396, 190-200.