Interaction des cycles profonds de l’hydrogène et du carbone

Terre Solide

Une équipe franco-chilienne1 vient de mettre en évidence l’existence probable, dans le manteau terrestre profond, d’une réaction s’accompagnant de la production d’eau. Ce nouveau mécanisme de production d’hydrogène sous la forme d’eau pourrait être à l’origine de phénomènes de magmatisme dans le manteau inférieur et de modifications de l'état mécanique et d'oxydo-réduction du manteau très profond. Cette réaction conduit en outre à la formation de substances carbonées qui pourraient être à même de transporter du dioxyde de carbone superficiel jusqu'au au noyau de la Terre.

  • 1Cette équipe comprend des chercheurs de l'Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC/Ecce Terra, CNRS / Sorbonne université / IRD / MNHN), du Synchrotron SOLEIL, de l’Instituto de Ciencias de la Tierra (Universidad Austral de Chile), de l’Institut des sciences de la Terre (ISTerre/OSUG, CNRS / UGA / IRD / IFSTTAR / USMB) et du Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes, environnement (LGL-TPE/OSUL, CNRS / ENS Lyon / Université Claude Bernard).

Après l'eau, le dioxyde de carbone est le deuxième composé volatil2 le plus important dans la Terre profonde. L’hydrogène et le carbone jouent tous deux un rôle clé dans l'évolution de la Terre en influençant fortement les propriétés chimiques et physiques des minéraux, des matières fondues et des fluides. Les matériaux sédimentaires ainsi que les roches altérées qui constituent les plaques en subduction transportent à la fois l'hydrogène et le carbone, ainsi que d'autres substances volatiles éventuellement jusqu'à la limite noyau-manteau. Le transport de ces éléments au travers de la zone de transition jusqu’au manteau inférieur a d’ailleurs fait l'objet de nombreuses études mais reste un sujet de débats.

Pour avoir une compréhension plus complète de l'influence mutuelle des deux composés volatils principaux H2O et CO2 dans la Terre profonde, des expériences ont été réalisées sur la goethite, une phase porteuse d’hydrogène (FeOOH), en présence de CO2. Ces expériences ont été réalisées en cellules à enclumes de diamants à des pressions de 110 GPa (plus de 1 million de fois la pression atmosphérique correspondant à près de 3000 km de profondeur dans la Terre).

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Aux conditions proches de la limite noyau-manteau de la Terre, la goethite se transforme en un peroxyde FeO2Hx de structure pyrite (en haut à droite). En présence de dioxyde de carbone, ce dernier réagit avec FeO2Hx pour former une phase de haute pression des carbonates constituée de groupements tétraédriques CO4 (en bas à gauche). © Églantine Boulard, IMPMC
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À 107 GPa et 2000 K (conditions de P et T d’une plaque en subduction dite froide), formation de FeO2Hx. Chauffé au-delà de 2300 K, FeO2Hx réagit avec le CO2 environnant (dans les conditions de P et T d’une plaque en subduction dite chaude) et forme une phase carbonatée de haute pression : Fe4C3O12.

Lors d'un chauffage par laser infra-rouge à 2000 K, les mesures par diffraction de rayons X in situ sous haute pression et température montrent que la goethite se transforme en une phase de structure pyrite et de formule FeO2Hx. où x est une variable variant entre 0 et 1 avec des valeurs plutôt proches de 0.6. Chauffé à plus haute température, au-delà de 2300 K toujours à ~110 GPa, comme dans une plaque en subduction dite "chaude", le CO2 réagit avec FeO2Hx pour former une phase carbonatée de haute pression : Fe4C3O12 dans laquelle le carbone est présent sous la forme de groupements tétraédriques CO4.
Cette réaction de carbonatation de FeO2Hx s’accompagne de la production d’eau dans le manteau profond. Il s’agit là d’un nouveau mécanisme de production d’hydrogène sous forme d’eau qui pourrait être à l’origine de phénomènes de magmatisme dans le manteau inférieur et de modifications de l'état mécanique et d'oxydo-réduction du manteau très profond.

Ces résultats montrent en outre que les phases carbonatées contenant des groupements tétraédriques CO4 et par ailleurs riches en fer sont de bonnes candidates pour transporter du CO2 dans le manteau profond jusqu'à la limite noyau-manteau.

  • 2"volatil" signifie ici une forte affinité pour les enveloppes superficielles de la planète: son atmosphère et son océan

Sources

CO2-induced destabilization of pyrite-structured FeO2Hx in the lower mantle. E. Boulard, F. Guyot, N. Menguy, A. Corgne, AL Auzende, JP Perrillat and G. Fiquet. National Science Review, 2018, https://doi.org/10.1093/nsr/nwy032

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Églantine Boulard
IMPMC