Une chambre magmatique fossile, intacte, sous la croûte océanique est atteinte et échantillonnée par un forage océanique, une première scientifique

Surfaces continentales

Dans l'Océan Pacifique, à environ 800 km à l'Ouest du Costa Rica, une équipe internationale à bord du Navire océanographique Joides Resolution a, pour la première fois, atteint par forage la couche des gabbros, roches cristallines noires qui constituent la croûte océanique profonde. La campagne s'est déroulée dans le cadre du programme international IODP (International Ocean Drilling Program). Les chercheurs, parmi lesquels cinq francais(1), ont pu échantillonner les roches d'une chambre magmatique fossile située à 1,4 kilomètre sous le plancher océanique, après avoir traversé l'intégralité de la couche de roches volcaniques (basaltes océaniques) qui la recouvre. Pour la première fois, les scientifiques ont entre les mains une section complète de la partie supérieure de la croûte océanique. Cet objectif était poursuivi depuis plus de quarante ans, et ce pas important franchi aidera à répondre à la question essentielle : "comment se forme la croûte océanique nouvelle ?"

La formation de la croûte océanique est un processus clé de la tectonique des plaques qui remodèle la surface de la Terre, construit des montagnes, provoque des tremblements de terre et des éruptions volcaniques. Le projet MoHole, lancé en 1950, avait pour objectif de forer toute la croûte océanique, traverser le MOHO (limite entre la croûte et le manteau), et atteindre et échantillonner le manteau terrestre. Objectif ultime qui reste à atteindre.

Disposer d'échantillons d'une chambre magmatique fossile va permettre de comparer sa composition avec celle des laves qui la recouvrent. On pourra comprendre si la croûte océanique, qui est épaisse de 6 à 7 kilomètres, s'est formée à partir d'une seule chambre magmatique haut perchée ou par l'empilement d'une série de lentilles magmatiques. La taille et la géométrie de ces lentilles affectent non seulement la composition et la structure thermale de la croûte océanique, mais aussi la vigueur de la circulation hydrothermale de l'eau de mer au travers de la croûte. De tels systèmes conduisent à la formation des spectaculaires fumeurs noirs qui sont les analogues modernes des anciens dépôts de cuivre et qui accueillent les oasis de vie des grands fonds.

Pour James Allen, le directeur du programme IODP à la National Science Foundation (USA), programme fondé en partenariat avec le Japon, les résultats de cette expédition, au cœur de la croûte de l'Océan Pacifique, confirment les idées reposant sur l'interprétation des données de sismologie sur la manière dont la croûte océanique est formée dans un contexte d'expansion rapide. Ils précisent notre compréhension de la relation entre la vitesse de propagation des ondes sismiques et la composition des roches de la croûte et ouvrent une nouvelle perspective pour explorer l'origine de la croûte océanique inférieure.

Les théories géophysiques ont depuis longtemps postulé que c'est le refroidissement de chambres magmatiques qui ont produit ces roches grenues noires que sont les gabbros, communément utilisées en marbrerie. Bien que les gabbros aient été échantillonnés ailleurs dans les océans, remontés près de la surface par des failles et des mouvements tectoniques, c'est la première fois qu'ils sont récoltés in situ, dans une croûte océanique intacte.

Selon les géophysiciens de l'expédition, forer ce puits profond dans le Pacifique est une rare opportunité pour calibrer des mesures géophysiques telles que les temps de parcours sismiques ou le champ magnétique terrestre, par des observations directes des roches réelles.

Le choix du site de forage a été crucial pour la réussite de la mission. L'équipe de projet avait repéré, grâce aux données magnétiques, une région vieille de 15 millions d'années dans le Pacifique, formée alors que la dorsale Est-Pacifique avait un taux d'expansion extrêmement rapide (supérieur à 200 millimètres par an), plus rapide qu'aucune dorsale océanique actuelle. Une compilation des données géophysique permettait de prédire que, dans ce contexte, les chambres magmatiques devaient être les plus proches de la surface de la Terre actuelle et donc nécessiter des forages moins profonds pour atteindre les gabbros. Cette théorie s'est avérée juste.

Après trois ans de recherche et de multiples missions sur le site en question, le puits de forage qui a pénétré la chambre magmatique est profond de plus de 1500 mètres. Il a fallu cinq mois en mer pour le réaliser et utiliser, jusqu'à l'usure complète, 25 trépans d'acier et de tungsten avant que le travail scientifique puisse être achevé. Les roches situées juste au-dessus de la chambre magmatique fossile étaient extrêmement dures car elles s'étaient formées par trempe du magma sous-jacent, comme de l'acier trempé.

Ce forage est particulièrement intéressant pour la communauté francaise car un grand nombre d'idées sur le fonctionnement des chambres magmatiques aux dorsales océaniques se sont appuyées sur les travaux réalisés par des équipes francaises sur l'ophiolite d'Oman qui n'est rien d'autre qu'un fragment de croûte océanique mise en place sur le continent. La comparaison avec ces nouvelles données provenant de la croûte océanique in-situ devrait être particulièrement fructueuse.

Notes

 

  1. Participants francais aux campagnes (2061, 3092 et 3123) sur le puits 1256D
    • A. Belghoul (Mesures en forage), Laboratoire de Tectonophysique. CNRS-Université de Montpellier
    • J. Carlut (Paléomagnétisme), Laboratoire de géologie de l'ENS Paris - Unité du CNRS
    • C. Cordier (Pétrographie magmatique) , Domaine Océanique CNRS-Université de Bretagne Occidentale
    • F. Einaudi (Mesures en forage), Laboratoire de Tectonophysique. CNRS-Université de Montpellier II
    • C. Laverne (Pétrographie métamorphique), Université Paul Cézanne Aix-Marseille III