Éruption du Hunga Tonga : quel panache !
Le 15 janvier 2022, le volcan Hunga Tonga a connu une éruption explosive, d’une puissance telle que l'onde de choc a généré un séisme de magnitude 5.8 ainsi qu’un tsunami et aurait été détectée jusqu’en Alaska. Lorsqu'un volcan entre en éruption, il peut rejeter des cendres ou des gaz en grandes quantités. Ces cendres et gaz s'élèvent alors dans l'atmosphère en formant un panache volcanique. Plus l’explosion est violente, plus le panache s’élève haut. L’éruption du Hunga Tonga suscite une grande effervescence dans le milieu scientifique. Sans égaler celles de l’éruption majeure des dernières décennies, celle du Mont Pinatubo en 1991, ses caractéristiques en font un objet d’étude unique, qui devrait faire considérablement avancer nos connaissances. On vous explique pourquoi avec l’aide de Valentin Duflot, chercheur au LACy et responsable scientifique de l’Observatoire de physique de l’atmosphère de la Réunion, d’Aurélien Podglajen, chercheur au LMD-IPSL, et de Pasquale Sellitto, chercheur au Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques (LISA-IPSL) et à l’Institut national italien de géophysique et volcanologie (INGV).
Une configuration inédite
Il existe deux types de volcans, les volcans effusifs et les volcans explosifs. Celui dont nous parlons fait partie la deuxième catégorie. D’une exceptionnelle violence, son explosion a injecté des particules de cendres, des gaz et de la vapeur d’eau à une altitude rarement atteinte depuis qu’on est en mesure de les mesurer. Les données recueillies le 16 janvier par le satellite CALIPSO1 montrent que les cendres et les gaz se sont élevés à une altitude de 31 kilomètres. Selon les dernières estimations, cette altitude a de 45 à 50 kilomètres lors de la dernière éruption record contemporaine, celle du Mont Pinatubo, en 1991. Certaines données, qui sont encore à confirmer, laissent penser que l’injection du panache du Hunga Tonga aurait en fait dépassé la stratosphère et atteint la mésosphère (50 km). Bien que l’évènement ait duré moins de 60 minutes, le volcan a rejeté 400 000 tonnes de dioxyde de soufre (SO2). Un colossal panache de cendres - d'une taille équivalente à la moitié de la France - a été observé à la suite de l’explosion.
Le volcan Hunga Tonga est un grand volcan « posé » sur des fonds marins de 2000 à 3000 mètres de profondeur. Son cratère principal affleurait au ras de l’eau, formant une île inhabitée. À cause de son caractère partiellement sous-marin, le Hunga Tonga a injecté également de l’eau de mer dans la stratosphère. On pense aussi, mais cela reste à confirmer, que c’est la réaction du magma avec l’eau de mer qui est responsable de la force de l’explosion.
- 1mission conjointe CNES-NASA
Des observations uniques
Depuis le 15 janvier dernier, les scientifiques ne ménagent pas leur peine pour faire le plein de données ! L’observation du panache du Hunga Tonga est en effet un moyen unique d’en apprendre non seulement beaucoup plus sur les volcans, mais aussi sur la machine climatique.
Observations par satellite d’abord. En 1991, lors de l’éruption du Pinatubo, ces derniers n’étaient pas au niveau technique actuel, et notre capacité à analyser les données n’était pas non plus la même. Aujourd’hui, les satellites météorologiques géostationnaires et les capteurs hyperspectraux de IASI et Sentinel nous permettent de suivre avec précision les panaches, notamment à travers la plateforme VOLCPLUME, gérée par AERIS, et qui intègre l’ensemble de ces données satellitaires. Les capteurs ultraviolets (Sentinel-5p TROPOMI) et infrarouges (IASI) de ces satellites nous donnent des informations sur le spectre du rayonnement, nous permettant de déterminer la composition des panaches.
Rien ne vaut cependant des observations moins lointaines de ces aérosols, depuis le sol, voire in situ ! Pour pouvoir en effectuer, les scientifiques doivent d’abord faire des hypothèses sur les trajectoires de dispersion, en injectant dans des modèles différents paramètres comme l’altitude du premier panache. Ensuite, deux cas de figure sont possibles : soit il existe un observatoire opérationnel sur le chemin du panache, soit on doit monter une campagne de mesures en urgence.
Les ballons de Stratéole ont observé l’onde de choc
Vous avez peut-être entendu parler la de la campagne Strateole -2 . Il s’agit d’un programme d’observation de la dynamique de l’atmosphère dans la zone intertropicale développé en partenariat entre le CNRS et le CNES. Le programme utilise des ballons pressurisés stratosphériques transportés par les vents tout autour de la ceinture tropicale à environ 20 kilomètres au-dessus de nos têtes. Débutée mi-octobre 2021, la deuxième campagne a permis de récolter des informations précieuses pour l’étude des phénomènes atmosphériques et leur rôle dans le climat. Si elle touchait à sa fin lors de l’éruption du Hunga Tonga, il s’avère que deux ballons étaient encore à proximité du volcan, l’un à 2000 km et l’autre à 7600 km. Grâce à eux,on a pu obtenir les mesures de pression nous permettant de visualiser l’onde de choc, ou « onde de Lamb », une première à 20 km d’altitude !
Aurélien Podglajen, chercheur au LMD, précise : « c’était très spectaculaire ! Dans les jours suivant l’éruption, on a enregistré une série de passages de l’onde de choc qui a fait plusieurs fois le tour de la Terre. Les premières observations d’un tel phénomène datent de 1883, lors de l’éruption du Krakatoa. Cela a permis de comprendre beaucoup de choses sur l’atmosphère ». Ces ondes ont en effet un impact sur la température et la formation des nuages. Mais si elles intéressent particulièrement les scientifiques ici, c’est qu’elles peuvent leur permettre de mieux caractériser l’éruption, en donnant des informations sur la masse injectée et l’énergie émise par le volcan, ainsi que sur l’altitude des injections. Des paramètres qui seront utiles aux modélisateurs en leur apportant de nouvelles contraintes.
En ce qui concerne notre panache, il est parti vers l’ouest, se dirigeant vers l’Afrique du sud. « On a ainsi pu estimer, à une demi-journée près, le créneau horaire de son arrivée à l’Ile de la Réunion, à 12 000 km du volcan ! » se félicite Pasquale Sellitto, chercheur au LISA. L’intérêt de cette prévision ? Nous avons la chance d’avoir sur cette île l’Observatoire de Physique de l’Atmosphère de la Réunion (OPAR), « Seul bout d‘Europe dans l’Océan indien », s’enorgueillit Valentin Duflot, son responsable scientifique. «Il bénéficie des sources de financement1 régionale, nationale et européenne ! C’est l’observatoire le plus complet de l’Hémisphère sud, en terme de parc instrumental ». Située à 2200 m d’altitude, la station d’observation du Maïdoi, qui fait partie de l’OPAR, est dotée de plusieurs lidars qui permettent d’échantillonner la composition de l’atmosphère. Déconnecté des sources de pollutions anthropiques, ils permettent d’effectuer des mesures de grande précision jusqu’à haute altitude dans cette zone du globe sous documentée. Les Américains ne s’y sont pas trompés puisque plusieurs scientifiques des universités de Boulder et de Houston s’y sont précipités … et ont été rejoints par une équipe spécialisée du Laboratoire de physique et de chimie de l’environnement et de l’espace (LPC2E). Les uns comme les autres ont apporté du matériel spécifique avec une complémentarité très intéressante2 les lidars permettant de montrer l’évolution dynamique, et les sondes donnant une vue instantanée in situ.
Visualisation du panache volcanique du Hunga Tonga (1)
© Bernard Legras (LMD)
Audiodescription
Visualisation du panache volcanique du Hunga Tonga (2)
© Bernard Legras (LMD)
Audiodescription
Dès le 19 janvier donc, une campagne intensive a débuté à l’OPAR, et on a pu observer le panache à la verticale de la Réunion, à 36 kilomètres d’altitude. Si l’observatoire effectue des mesures de manière régulière, il fonctionne depuis lors de manière très intensive « On a doublé la fréquence des observations lidar, et multiplié par deux la durée des observations. On fera ça pendant trois semaines, voire plus si nécessaire » précise Valentin Duflot. « Plus les observations sont longues, plus on peut se débarrasser des signaux parasites, et suivre la dynamique du panache ». C’est une campagne éprouvante pour les équipes techniques et scientifiques, car les observations lidar ont lieu la nuit, du crépuscule à l’aube, pour ne pas être gêné par le rayonnement solaire. Depuis le début de la campagne, des panaches s’étalant à différentes altitudes ont pu être observés, avec des vitesses d’arrivée à la verticale de la Réunion différentes.
L’enjeu ? Récupérer un maximum de données pour faire progresser nos connaissances !
Les enjeux
« C’est la première fois qu’on arrive à échantillonner ce type de panache volcanique aussi rapidement après l’éruption » nous apprend Valentin Duflot. Pour le Pinatubo, il avait fallu attendre quelques semaines, qu’il passe au-dessus du bon observatoire.
Cela nous renseigne d’abord sur la masse d’aérosols éjectés par le Hunga Tonga - une donnée essentielle pour mieux comprendre le fonctionnement des volcans. D’autre part, suivre l’évolution des propriétés physiques et chimiques du panache va nous permettre d’étudier l’impact de ce type d’évènements sur la chimie stratosphérique et sa rétroaction sur l’atmosphère.
Le panache est à étudier pour plusieurs raisons : son impact sur l’ozone et son impact radiatif. Dans le panache en effet, en plus des aérosols directement éjectés par le volcan, le dioxyde de soufre et l’eau se combinent pour former de l’acide sulfurique. Or, les aérosols stratosphériques peuvent servir de support à des réactions chimiques conduisant à la destruction de l’ozone. De plus, les aérosols renvoient partiellement les rayons solaires. Résultat : la température moyenne à la surface de la planète peut baisser. Lors de l’éruption du Mont Pinatubo, on estime que la température de la surface de la Terre et celle de la troposphère ont été impactées pendant plusieurs années, avec une baisse d’environ 1° à la surface de la planète la première année, et une augmentation de celle de la stratosphère de l’ordre de 1° à 4°. Des chiffres qui peuvent sembler insignifiants, mais qui ne le sont pas vraiment tant la physico-chimie atmosphérique est complexe, et les rétroactions nombreuses. Or il faut étudier ces paramètres pour prendre en compte dans les modèles climatiques non seulement les éruptions volcaniques mais aussi les épisodes, amenés à être de plus en plus fréquents, de mégafeux, comme ceux de l’Australie en 2019-2020
Le panache et ses énigmes
Avec toutes ces données, la communauté scientifique internationale est en ébullition. « On échange 100 à 150 mails par jour sur ce sujet, se réjouit Pasquale Sellito, on se plonge dans des débats scientifiques passionnants. » En effet, le panache apporte un certain lot d’observations qui étonnent les scientifiques.
Par exemple, en principe, dans la stratosphère le souffre se combine avec l’eau pour former des gouttelettes liquides de particules. Mais ici, on n’observe pas assez de composé soufré ! Comment est-ce possible ? La question n’est pas anodine car si c’est confirmé, cela signifierait que l’impact climatique serait très limité. Une des hypothèses est que comme le volcan est sous-marin, et le SO2 très soluble dans l’eau, il a été piégé dans l’océan. Ce qui serait en revanche une mauvaise nouvelle pour la biosphère marine car cela implique que de l’acide sulfurique aurait été relâché en mer. « Mais peut-être que, tout simplement, ces mesures invalident nos observations satellitaires. », s’inquiète Pasquale Sellitto. De fait, elles ont été impactées par un nuage de cendre assez épais.
Peut-on penser que cette éruption refroidira l’ensemble de la planète, comme celle du Pinatubo ? L’altitude d’injection de ce panache étant inédite, les scientifiques étudient avec attention sa dynamique de dispersion et travaillent d’ores et déjà à l’évaluation de son impact radiatif.
Autre chose qui intrigue : la forme des aérosols indique qu’il y a eu des cristaux de glace dans le panache. Mais dans la haute stratosphère, il fait chaud. Pourquoi y a-t-il de la glace ? Qu’est-ce qu’il y a dedans ? Serait-ce de l’acide sulfurique formé par des émissions de SO2 (ce qui expliquerait qu’on ne le voie pas) ou bien de la cendre ? Ou bien encore serait-ce parce que le volcan a injecté beaucoup d’eau de mer dans la stratosphère ? Cette hypothèse aurait le mérite d’expliquer les quantités record de vapeur d’eau mesurés. Dans ce cas, l’impact sur le climat pourrait être plus fort qu’estimé à l’origine.
Enfin, le Hunga Tonga aurait injecté 400 000 tonnes de SO2, assez peu en comparaison de l’éruption du Pinatubo qui en a injecté 20 millions de tonnes. Pourtant, le 23 janvier, à la verticale de l’île de la Réunion, la quantité d’aérosols a été multipliée par 6, atteignant une épaisseur optique de 0,6, tandis que le chiffre était de 0,3 au maximum pour l’éruption de 1991. On ne sait pas encore l’expliquer, d’autant que l’éruption de janvier a duré 8 minutes et celle du Pinatubo plusieurs jours. « Le timing des observations et les propriétés optiques des aérosols sont à prendre en compte, et probablement qu’à un instant donné, la quantité de matière éjectée a été plus importante pour le Hunga Tonga. » conjecture Valentin Duflot.
Une certitude : ce volcan va être étudié pendant des dizaines d’années, comme on étudie encore aujourd’hui celui du Pinatubo.
Anne Brès
Matériel à disposition
- L’Observatoire de Physique de l’Atmosphère de la Réunion possède (entre autres) :
- des lidars permettant de mesurer l’ozone, les aérosols, la vapeur d’eau, le vent, et la température
- différentes sondes, qu’on envoie dans la stratosphère via des ballons, et capables de mesurer la vapeur d’eau, même en quantité infime, l’ozone, le vent et la température
- Le LPC2E a apporté un instrument permettant de mesurer la diffusion des aérosols, et leur distribution en taille ;
- Les Américains ont apporté
- différents types de sondes pour mesurer les aérosols,
- une sonde expérimentale pour mesurer le SO2 (ce que jusqu’à présent on ne savait observer que par satellite).