Une mission sur les traces du séisme d’Amorgos de 1956
Le 9 juillet 1956, un séisme de magnitude 7,7 frappe l’île d’Amorgos, dans l’archipel des Cyclades, au large de la Grèce. Il est suivi d’un tsunami dont les vagues atteignent 20 mètres de hauteur. Bilan : 53 morts. Le projet AMORGOS, piloté par Frédérique Leclerc, enseignante-chercheuse de l’Université de la Côte d’Azur au laboratoire Géoazur, et Javier Escartín, chercheur CNRS au laboratoire de géologie de l’ENS de Paris, part sur les traces de ce séisme. À travers deux campagnes océanographiques, prévues en 2022 et 2023, ce projet va tenter d’en comprendre l’origine. Frédérique Leclerc, cheffe de la mission de 2022, nous parle de la préparation et des objectifs de la première campagne qui débute ce lundi 28 mars.
Pourquoi vous intéressez-vous à ce séisme ?
Parce qu’il y a de nombreux mystères qui l’entourent. En effet, dans les années 1950, il n’y avait pas beaucoup de sismomètres installés dans la région et donc très peu d’informations ont pu être récoltées à l’époque. On ne sait pas, notamment, quelle faille précisément a provoqué le séisme car la zone autour de l’île d’Amorgos en présente une demi-douzaine, toutes capables de déclencher des séismes.
Autre point d’étonnement : sa magnitude de 7,7 qui en fait le tremblement de terre le plus énergétique du 20ème siècle dans la région. En général, les séismes d’une magnitude importante ont plutôt lieu le long des frontières de plaques, par exemple le long des zones de subduction (une plaque tectonique qui passe sous une autre). En effet, ces frontières présentent les plus longues failles et la puissance d’un séisme est directement corrélée à la longueur de la faille qui casse. Or, toutes les failles qui entourent l’île d’Amorgos sont des failles normales et celles-ci produisent plus rarement des séismes de cette taille. L’hypothèse la plus probable est que le séisme se soit propagé sur plusieurs failles, ce qu’il reste à déterminer.
Légende : Une faille normale est un plan incliné (le plus souvent d'environ 60°) séparant deux compartiments rocheux. La faille résulte d’un étirement de la croûte terrestre, qui se traduit par le glissement sur ce plan de faille, abaissant le bloc supérieur par rapport au bloc inférieur. Si la faille est submergée, les mouvements des blocs lors d’un séisme vont se propager dans la colonne d’eau et générer un tsunami.
Enfin, l’origine du tsunami pose question : a-t-il été provoqué par le séisme et/ou par un glissement de terrain sous-marin ? Après son passage, le recueil de témoignages et l’étude des dépôts avaient permis de comprendre qu’il s’agissait d’un tsunami puissant mais avec une hauteur des vagues le long des côtes qui variait beaucoup. Alors qu’un séisme généré le long d’une faille soulève le fond de la mer (et donc la colonne d’eau) de façon relativement homogène, un glissement de terrain va, quant à lui, modifier le fond marin de façon plus ponctuelle. Ces deux phénomènes vont donc initier des vagues de tsunami différentes. L’hypothèse actuelle pour la source du tsunami d’Amorgos est une combinaison des deux, sans qu’on sâche où sont localisées les failles et les glissements responsables. C’est donc ce que nous chercherons à confirmer ou infirmer.
Quels sont vos objectifs ?
Nous allons chercher à cartographier précisément le réseau de failles de la zone d’Amorgos, déterminer laquelle/lesquelles a/ont provoqué le séisme de 1956, et localiser les glissements de terrain pour comprendre et modéliser l’origine et la propagation du tsunami. Au-delà de ces objectifs, l’enjeu de la mission est d’identifier les failles qui pourraient rompre prochainement et les zones susceptibles de produire des glissements sous-marins afin de mieux caractériser les risques pour la population.
Légende : Carte de la zone d’étude de la mission. Le système de failles (en rouge) du séisme de 1956, dont les différents épicentres proposés dans la littérature sont représentés par des étoiles jaunes, sera explorée, ainsi que les glissements sous-marins connus (en bleu) et ceux qui seront nouvellement identifiés.
Comment va se dérouler la mission ?
Elle aura lieu en deux temps : du 28 mars au 14 avril 2022, puis en 2023, en collaboration avec des scientifiques de différents institut dont Géoazur, l’ENS Paris, l’IPGP et l’Université d’Athènes. Cette année, nous partons à bord du navire océanographique L’Europe, de la flotte océanographie française (FOF), opérée par l’Ifremer/Genavir, pour déployer le sous-marin autonome IdefX. Celui-ci va cartographier la topographie du fond de la mer avec une résolution métrique pour, notamment, recenser les failles et glissements de terrain sous-marins. Les données actuelles ont une résolution de 20 mètres donc la précision de notre connaissance du terrain va être nettement améliorée !
Les glissements de terrain sont repérables grâce à leur forme particulière : un escarpement en forme de fer à cheval, au pied duquel se trouve un dépôt. 12 plongées de 8 heures chacune sont prévues et 14 parcours préparés au cas où nous ayons besoin de plans B. Comme il s’agit d’un sous-marin autonome, les trajets doivent être définis à l’avance car on n’a plus le contrôle dessus une fois qu’il est à l’eau.
En 2023, nous repartirons à bord de L’Europe, accompagnés, cette fois, du rover sous-marin Ariane qui sera piloté depuis le navire. Cela permettra plus de flexibilité en termes d’exploration sous-marine. Il aura une double mission : dans un premier temps, filmer les escarpements de failles, le long desquels nous sommes en mesure de reconnaître les traces d’une rupture sismique récente, et, dans un deuxième temps, échantillonner des sédiments pour dater les glissements de terrain identifiés en 2022. On pourra ainsi savoir si l’un d’eux date de 1956.
Les deux parties de la mission auraient pu s’enchainer, mais comme l’analyse des résultats de la première est nécessaire pour mener la seconde, cette organisation nous permet de travailler de façon plus sereine.