"Quick-release 1" : le télescope spatial Euclid dévoile sa première moisson d’images de l’Univers
Le télescope spatial Euclid, surnommé "le détective de l'Univers sombre", délivre aujourd'hui un premier échantillon de données scientifiques caractéristiques de sa mission (Quick-release 1 ou Q1). Avec des prises de vue très détaillées de portions entières de l'Univers, ce relevé spatial, qui couvre à peine 0,5% de la couverture complète attendue, est déjà plein de promesses. La France joue un rôle prépondérant à travers l'implication massive du CNRS et de ses laboratoires, tant dans la conception et la construction des instruments que dans le traitement et l'analyse des données.
Une mission ambitieuse pour percer les mystères du cosmos
Lancée en juillet 2023 par l'Agence spatiale européenne (ESA) et pilotée par un consortium qui regroupe plus de 2000 scientifiques européens, cette mission révolutionnaire vise à percer l'un des plus grands mystères de la cosmologie moderne : la nature de l'énergie noire et de la matière noire, qui ensemble constituent 95% de notre Univers mais demeurent largement incomprises.
Depuis le début des observations scientifiques en février 2024, Euclid cartographie méthodiquement le cosmos en observant des milliards de galaxies jusqu'à 10 milliards d'années-lumière de distance. En mesurant avec une précision inégalée la forme et la distribution de ces galaxies dans la toile cosmique, les scientifiques pourront comprendre comment l'énergie noire a influencé l'accélération de l'expansion de l'Univers. Cette même précision permettra également de déterminer comment la matière noire a façonné la formation des grandes structures cosmiques.
Cette première livraison de données Q1, représentatives de celles utiles aux analyses cosmologiques, constitue une étape majeure pour vérifier le potentiel scientifique de la mission. Euclid conduit un vaste relevé en très haute définition du tiers de la voûte céleste, qui s'étendra sur 6 ans. Équipé d'un large champ de vue et utilisant de longs temps de pose (70 minutes), il capte la lumière des objets les plus ténus du cosmos. Au total, 40 000 images seront réalisées, constituant une vue très détaillée de l'Univers riche de milliards de galaxies.
C'est sur cette base d'images d’une richesse unique que les équipes scientifiques du consortium Euclid s'appuient pour résoudre les mystères qu'ils cherchent à élucider. Pour cela, ils utilisent deux approches complémentaires. D'une part, ils mesurent l'effet de lentille gravitationnelle, c'est-à-dire la façon dont la lumière des galaxies lointaines est déformée par la matière (visible et sombre) qu'elle traverse avant de nous parvenir. D'autre part, ils cartographient précisément la distribution tridimensionnelle des galaxies, révélant comment elles s'organisent en filaments et en vides à l'échelle cosmique - une structure directement influencée par l'expansion de l'Univers que l'énergie noire accélère.
Pour ce faire, la mission combine deux instruments sophistiqués : un imageur visible (VIS) d'une précision exceptionnelle et un spectromètre et photomètre infrarouge (NISP) qui permet de mesurer la distance des objets observés. Cette combinaison unique permet non seulement d'étudier avec une précision sans précédent les mystérieuses composantes que sont la matière noire et l'énergie noire, mais aussi toute une myriade d'autres phénomènes astrophysiques.
Régions du ciel observées par Euclid (champs Q1)

Légende : ce graphique montre en jaune l'emplacement des premières régions du ciel observées par Euclid (champs Q1). Ces observations ont la même sensibilité que celle prévue pour l'ensemble de la mission, permettant de détecter des objets aussi faiblement lumineux que dans le futur programme principal. Ces mêmes régions seront également observées plus longuement dans le cadre des "champs profonds" pour détecter des objets encore plus lointains. La carte en arrière-plan combine les données des satellites Gaia et Planck, avec la bande horizontale lumineuse représentant notre galaxie, la Voie Lactée.
Crédit : ESA/Euclid/Consortium Euclid/NASA ; ESA/Gaia/DPAC ; ESA/Planck Collaboration
Des images d'une précision exceptionnelle
Les données publiées aujourd'hui incluent des observations couvrant 63 degrés carrés du ciel (l'équivalent de plus de 300 fois la surface de la pleine lune), révélant 26 millions de galaxies dont certaines situées à 10,5 milliards d'années-lumière. La qualité exceptionnelle des images repose en grande partie sur l'instrument VIS qui offre une résolution sans précédent pour un télescope de grand champ avec 0,16 seconde d'arc.
« Euclid possède une double capacité unique : d'une part une imagerie grand champ que n'ont pas des télescopes comme Hubble ou James Webb, et d'autre part une très grande qualité d’image, » explique Pierre-Alain Duc, directeur de l'Observatoire astronomique de Strasbourg (ObAS, CNRS / Université de Strasbourg). « Ce grand champ permet d'accéder à de très grandes statistiques, mais ce n'est pas juste un catalogue. L'imagerie a une telle résolution qu'elle peut également donner lieu à de la science sur des objets individuels, comme le font Webb et Hubble. »
Ce premier aperçu ne représente que 0,45% du relevé total, qui couvrira à terme environ 14 000 degrés carrés, soit un tiers de la voûte céleste.
Des données déjà significatives
La première année de collecte de données tient ses promesses et le recensement des galaxies ou encore des lentilles gravitationnelles fortes bât son plein. Les premières se comptent déjà par centaines de milliers tandis que les secondes sont identifiées par centaines.
« L'effet de lentille gravitationnelle, véritable loupe cosmique qui déforme et multiplie l’image des galaxies lointaines, nous révèle comment la matière noire tisse sa toile. Mais ces phénomènes sont extrêmement rares, nous n'en connaissons que quelques centaines. Avec Euclid, nous nous attendons à en trouver des dizaines de milliers ! » précise Stéphanie Escoffier, chercheuse CNRS au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM, CNRS / AMU).
D'ici la fin de la mission, Euclid devrait identifier environ 100 fois plus de lentilles fortes galaxies-galaxies que ce qui est connu actuellement.
Lentilles gravitationnelles fortes capturées par Euclid

Légende : cette image montre quelques-uns des nombreux exemples de lentilles gravitationnelles capturées par le télescope Euclid lors de ses premières observations.
Crédit : ESA/Euclid/Consortium Euclid/NASA, traitement d'image par M. Walmsley, M. Huertas-Company, J.-C. Cuillandre
L’observation des amas de galaxies est également au centre de l’attention des scientifiques.
« Les amas de galaxies sont les structures les plus massives de l'Univers et se situent aux nœuds du vaste réseau filamentaire à grande échelle » explique Céline Gouin, chercheuse CNRS à l'Institut d'Astrophysique de Paris (IAP, CNRS / Sorbonne Université). « Avec la richesse des données Euclid nous pouvons commencer à cartographier ces filaments cosmiques et cela va nous permettre d’explorer comment l'environnement à grande échelle influence la formation et l'évolution des amas. »
Une mission au fonctionnement optimal
Les premières observations confirment le parfait fonctionnement des instruments développés avec la contribution majeure des laboratoires français. « Avec cette remise des données Q1, on dispose déjà d'une couverture du ciel de près de 60 degrés carrés à une résolution proche de celle du télescope spatial Hubble, ce qui déjà change la donne » souligne Pierre-Alain Duc. « Nous pouvons déjà effectuer des analyses statistiques sans précédent sur la morphologie des galaxies et leurs sous-structures comme les barres ou les amas globulaires. ... alors que nous ne disposons que de 5 millièmes de ce que Euclid observera »
« Q1 est déjà un coffre au trésor fantastique pour de nombreuses recherches scientifiques » s'enthousiasme Hervé Aussel, chercheur au laboratoire Astrophysique Instrumentation et Modélisation (AIM, CNRS/Université Paris Cité/CEA). « Cela nous donne un aperçu du tsunami de résultats qui nous attend lorsqu'on livrera l’intégralité de la première année de données au public, fin 2026 ! (DR1) »
Galaxies de différentes formes capturées par Euclid

Légende : cette image montre un échantillon de l'immense diversité des galaxies observées par Euclid. Par centaine de milliers, ces galaxies sont répertoriées dans un vaste catalogue en fonction de leurs caractéristiques morphologiques spécifiques, comme la présence de bras spiraux, de barres centrales, ou de queues de marée, témoignant d'interactions entre elles.
Crédit : ESA/Euclid/Consortium Euclid/NASA, traitement d'image par M. Walmsley, M. Huertas-Company, J.-C. Cuillandre
Une contribution majeure des laboratoires français
Les laboratoires français ont contribué de façon majeure à la conception et à la réalisation des deux instruments principaux du télescope : ils ont assuré la maîtrise d'œuvre du spectromètre infrarouge (NISP), la plus grande caméra infrarouge déployée dans l'espace, co-développé le système d'étalonnage de l'imageur visible (VIS), et co-conçu plusieurs de ses composants critiques comme les plans focaux et les systèmes électroniques de contrôle.
Au-delà du matériel embarqué, la France est également au cœur du traitement du flot massif de données généré par Euclid. L'hexagone héberge l'un des plus puissants calculateurs du réseau, qui centralise et transforme les observations brutes attribuées à la France en données scientifiquement exploitables. Ce centre a joué un rôle crucial dans la production des données Q1. Parallèlement, d'autres équipes françaises développent des algorithmes spécialisés pour détecter les structures cosmiques et analyser les objets célestes proches, pouvant opérer sur n'importe lequel des 9 centres de données répartis en Europe et aux Etats-Unis.
Cette infrastructure est complétée par le Télescope Canada-France-Hawaii (CFHT), qui fournit des observations complémentaires indispensables pour exploiter pleinement le potentiel scientifique des données d'Euclid, renforçant encore l'empreinte française dans ce projet international ambitieux.
La première plongée d'Euclide dans l'Univers
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Liste des laboratoires CNRS impliqués
Laboratoires CNRS Nucléaire & Particules (IN2P3)
- AstroParticules et Cosmologie (APC) est co-responsable du déploiement, de l'intégration et de la production des simulations des données photométriques des sondages externes à Euclid..
Tutelles : CNRS / Université Paris Cité
- Le Centre de Calcul de l'Institut National de Physique Nucléaire et de Physique des Particules (CC-IN2P3) est en charge du traitement des données d'Euclid.
Tutelle : CNRS
- Le Centre de physique des particules de Marseille (CPPM) a été responsable du plan focal de l'instrument NISP et a assuré la caractérisation des détecteurs infrarouges. Il est responsable de la validation des performances de l'instrument NISP et des procédures de calibration, et participe au développement des simulations du NISP dans le Segment Sol.
Tutelles : CNRS / Aix‐Marseille Université
- L'Institut de physique des 2 infinis de Lyon (IP2I) a assuré la vérification des performances des détecteurs infrarouges de l’instrument NISP. Il est également co-responsable de l'extraction des spectres dans le Segment Sol.
Tutelles : CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1
- Le Laboratoire de physique subatomique & cosmologie (LPSC) contribue aux masques de visibilité nécessaires pour le traitement des données.
Tutelle : CNRS / Université Grenoble Alpes
Laboratoires CNRS Terre & Univers (INSU)
- L'Institut d'astrophysique de Paris (IAP) joue un rôle clé dans la coordination scientifique française de la mission Euclid. Sous la direction de Yannick Mellier, directeur du consortium, ses équipes de recherche et d'ingénierie coordonnent le traitement des données issues de l'imageur VISible et participent activement à l’analyse des données produites par le Segment Sol.
Tutelles : CNRS / Sorbonne Université
- L'Institut d'Astrophysique Spatiale (IAS) / OSUPS a conçu et réalisé le système d'étalonnage de l'instrument VIS et co-dirige l'équipe “MER” du Segment Sol, chargée de la fusion des données VIS et NISP et de la production du catalogue de galaxies, essentiels pour les analyses scientifiques ultérieures.
Tutelles : CNRS / Université Paris‐Saclay
- Le Laboratoire d'Astrophysique de Marseille (LAM) / PYTHEAS est responsable de l'instrument NISP et en assure la maîtrise d'œuvre. Il a fourni la structure mécanique en carbure de silicium ainsi que les grisms (composants optiques combinant un prisme et un réseau de diffraction pour analyser le spectre lumineux des objets célestes). Les essais en environnement spatial, de qualification et de vérification des performances de l'instrument ont été réalisés dans la grande cuve cryogénique du LAM développée avec le soutien du CNES. Il est également responsable de la mesure des redshifts dans le Segment Sol.
Tutelles : CNRS / Aix‐Marseille Université / CNES
- Le Laboratoire Lagrange / OCA assure depuis 2012 la responsabilité du lot de travail "Clusters of galaxies Implementation" de l'Organisation Unit LE3 du Segment Sol Scientifique conjointement avec INAF-OATs. Ce groupe de travail coordonne l'implémentation des algorithmes visant à détecter, caractériser et analyser les propriétés de regroupement des amas de galaxies. Il coordonne le pipeline du Segment Sol dédié aux amas et supervise la livraison du catalogue d'amas de galaxies d'Euclid ainsi que le groupe de travail scientifique dédié au système solaire. Il est également responsable des simulations stellaires True Universe.
Tutelles : CNRS / Université Côte d'Azur / OCA
- Astrophysique Instrumentation et Modélisation (AIM) / OSUPS est co-responsable de la conception, de la construction et de l'intégration du plan focal de l'instrument VIS ainsi que du boîtier électronique de contrôle des éléments froids. AIM est co-responsable de l’Organisation Unit LE3 du segment sol, et en charge du développement des logiciels produisant les fonctions de corrélation à deux points pour la sonde du cisaillement gravitationnel faible ainsi que pour les cartes de masse.
Tutelles : CNRS / Université Paris Cité / CEA
- Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP) / OMP
Tutelles : CNRS / Université de Toulouse / CNES
- L'Observatoire Astronomique de Strasbourg (ObAS) coordonne des lots de travail analysant les objets proches (galaxies naines, amas globulaires). Le centre de données astronomiques de Strasbourg (CDS) qu'il héberge apporte également une valeur ajoutée au sondage d'Euclid en fournissant à l'ensemble de la communauté astronomique des outils de visualisation et partage des données.
Tutelles : CNRS / Université de Strasbourg
- L'Observatoire de Paris | PSL (Obs Paris)
Tutelles : CNRS / Université Paris Sciences & Lettres
Laboratoires CNRS Sciences Informatiques
- Centre de Recherche en Informatique, Signal et Automatique de Lille (CRISTAL) contribue à la mission Euclid principalement en coordonnant des projets sur l'évolution des galaxies en lien avec leur environnement et en participant à l'analyse des données pour ces études.
Tutelles : CNRS / Centrale Lille / Université de Lille
- Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT) contribue à la mission Euclid en participant à l'analyse et à l'exploitation scientifique des données, dans le cadre de projets étudiant le rôle de la structure à grande échelle de l'univers dans l'évolution des galaxies.
Tutelles : CNRS / Toulouse INP / Toulouse 3 Paul Sabatier
Laboratoires CNRS Physique
- Laboratoire d'Annecy-le-Vieux de physique théorique (LAPTH)
Tutelles : CNRS / Université Savoie Mont Blanc
- Institut de physique théorique (IPhT)
Tutelles : CNRS / CEA
Contributions internationales importantes : le télescope Canada-France-Hawaii (CFHT) a également fourni des observations complémentaires indispensables à l'exploitation optimale des données d'Euclid.
À propos d'Euclid
Le télescope spatial Euclid a pour mission de cartographier l'Univers à grande échelle, sur 10 milliards d'années lumière. En étudiant comment les grandes structures de l'Univers ont évolué au fil du temps, les scientifiques du Consortium Euclid cherchent à préciser la nature de l'énergie noire, cette composante énigmatique qui provoque l'accélération de l'expansion de l'Univers. Ces données serviront également à de nombreux autres champs d'étude astrophysiques, comme les processus de formation ou d'évolution des galaxies.
Euclid est une mission européenne construite et exploitée par l'ESA, avec des contributions de la NASA. Le consortium Euclid, composé de plus de 2600 scientifiques de 300 institutions répartis dans 15 pays européens, aux États-Unis, au Canada et au Japon, a fourni les instruments scientifiques et assure désormais le traitement et de l'analyse des données.
La France est le premier contributeur scientifique de la mission Euclid, avec plus de 40 laboratoires impliqués, dont une majorité sous tutelle du CNRS. Cette forte implication française dans Euclid illustre l'excellence nationale en astrophysique spatiale et renforce le positionnement de la France dans les grandes missions d'exploration de l'Univers.
Pour en savoir plus
- Les nouvelles images d'Euclid : découvrez les images en haute résolution sur le site de l'ESA (disponibles le 19 mars 2025)
- Explorez les images interactivement : visitez ESASky pour une exploration détaillée
- Euclid France : le site de la contribution française à la mission
- Article : "Euclid, l'énergie noire en ligne de mire", CNRS Le Journal
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