Quel a été l’impact du puissant réchauffement climatique de la dernière période interglaciaire sur les Néandertaliens et leur environnement ?

Résultat scientifique Terre Solide

Deux chercheurs du Laboratoire de géologie de Lyon (LGL, CNRS/Université de Lyon/ENS Lyon) et du laboratoire Cultures et environnements préhistoire, antiquité, moyen âge (CEPAM, CNRS/Université Côte d’Azur) viennent de montrer l’impact du puissant et brutal réchauffement climatique de la dernière période interglaciaire à la fois sur les paléoenvironnements et les comportements des populations de chasseurs-cueilleurs Néandertaliens en Europe. Leurs observations prouvent que la mise en place d’une grande forêt de feuillus a engendré un effondrement drastique de la population européenne ainsi qu’un épisode de cannibalisme dans une grotte ardéchoise située en bord du Rhône.

Nous savons par l’étude des glaces polaires, des sédiments marins et des tourbières que la dernière période interglaciaire (128 000 à 114 000 ans) a été la plus chaude des derniers 400 000 ans. Les températures étaient supérieures à celles que nous connaissons aujourd’hui et le niveau de la mer plus élevé de 6 à 9 mètres. Du fait de l’extrême rareté des sites archéologiques appartenant à cette période, l’effet de cet événement majeur sur les paléoenvironnements et les défis auxquels les populations de chasseurs-cueilleurs Néandertaliens ont été confrontées, sont peu connus.

Grâce à une couche archéologique exceptionnelle, sans équivalent sur le continent européen conservée sans perturbation pendant plus de 120 000 ans dans la Baume Moula-Guercy à Soyons, deux chercheurs français montrent que le réchauffement climatique rapide a entraîné une reconfiguration générale des écosystèmes et une redistribution de toutes les espèces vivantes du continent européen, des plantes aux arbres et des reptiles aux grands mammifères, par la mise en place d’une épaisse forêt tempérée en remplacement de la steppe à graminées précédente.

Les mammifères caractéristiques des biotopes froids ont été remplacés par des espèces tempérées qui avaient trouvé refuge dans les péninsules méditerranéennes au cours de la phase glaciaire antérieure. Des reptiles méditerranéens, dont la Tortue d’Hermann, absents de cette région ardéchoise de nos jours, ont occupé les espaces découverts, démontrant ainsi que le climat de cette région était plus chaud et plus sec que de nos jours. Ces données paléoécologiques pourraient potentiellement éclairer les changements de nos écosystèmes actuels si le climat de notre planète devait continuer à se réchauffer.

Contrairement à l’idée généralement admise, et comme de nombreux auteurs l’ont souligné, la forêt tempérée est un milieu de vie hostile pour les chasseurs-cueilleurs de nos jours comme dans le passé.  La biomasse de grands mammifères, qui constituaient les proies privilégiées des Néandertaliens y est nettement plus réduite que dans les steppes froides. L’extension des milieux arborés a provoqué un effondrement drastique des populations néanderthaliennes ; celles-ci ne se maintenant que dans quelques rares régions européennes, dont le sud-est de la France.

Alors que le cannibalisme des Néanderthaliens n’est attesté que dans 4 sites seulement durant les derniers 100 000 ans de leur existence sur le continent européen, deux sont datés de la dernière période interglaciaire, malgré sa faible durée. Le mieux documenté est celui de la Baume Moula-Guercy à Soyons. Les stries au silex observées sur les os (cf. cliché ci-dessous), les points d’impact pour casser les os et les crânes attestent que les occupants de la grotte ont consommé 6 de leurs congénères au cours d’un épisode unique d’endocannibalisme de survie.

Source(s): 

Alban R. Defleur, Emmanuel Desclaux. Impact of the last interglacial climatic change on ecosystems and Neanderthals behavior at Baume Moula-Guercy (Ardèche, France). Journal of Archaeological Science (2019) doi: 10.1016/j.jas.2019.01.002