Quand des fleuves s’écoulaient au fond de la Méditerranée

Résultat scientifique Terre Solide

Il y a environ 5.5 millions d’années, d’épaisses couches de sel se sont déposées dans les profondeurs de la Méditerranée. Depuis leur découverte il y a 40 ans, leur origine reste débattue. L'analyse de profils sismiques révèle l’existence au large du Liban d’un vaste paléo-réseau fluviatile sinuant au sommet du sel. Ces anciens fleuves, actuellement enfouis en mer à plus de 2 km de profondeur, témoignent de l’assèchement temporaire de cette partie de la Méditerranée. Ce sont les conclusions d’une étude menée par trois scientifiques dont une chercheuse du Laboratoire géosciences Montpellier (CNRS/Université de Montpellier/Université des Antilles).

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Figure 1. Vue oblique vers le nord (vers la Syrie) obtenue à partir de données sismiques en trois dimensions et montrant l'architecture du système fluviatile de Nahr Menashe, jusqu'alors inconnu. Il s'est accumulé directement au sommet des évaporites messiniennes et avait une taille comparable à celle du remplissage de la vallée fluviatile du Nil au Miocène supérieur (A. Madof, communication personnelle. Données fournies par PGS et le ministère de l'Énergie et de l'Eau du Liban).

A la fin du Miocène, le bassin méditerranéen a été transformé en géant salifère lors d’un événement géologique extrême connu sous le nom de "crise de salinité messinienne". Cet évènement résulte de la fermeture progressive des anciennes communications entre la Méditerranée et l’Océan Atlantique dans la région de Gibraltar. Il en est résulté un accroissement graduel de la salinité du bassin méditerranéen et l’accumulation de plus d’1 million de km3 d’évaporites formant localement des couches de sel de plus de 2 km d’épaisseur. Cet évènement géologique hors du commun a piégé environ 6% des sels océaniques dissous de l’époque et entrainé des variations paléo-environnementales rapides et majeures à l’échelle du bassin Méditerranéen. Il existe actuellement de nombreuses hypothèses concernant l'origine de ces évaporites méditerranéennes et la communauté scientifique reste divisée sur de nombreux points, notamment concernant les conditions de mises en place des différents dépôts (en eaux marines profondes ? peu profondes ? continentales ?) et l'amplitude de la chute du niveau de la mer pendant cette période. Une étude  récente réalisée par une équipe internationale de 3 scientifiques dans le cadre d’un programme européen de coopération COST intitulé "Medsalt" apporte des éléments de réponses à certaines de ces questions.

Grâce à l’interprétation de profils sismiques récemment acquis en Méditerranée orientale, entre le Liban et le mont sous-marin Ératosthène (situé au sud de Chypre), les chercheurs ont révélé l’existence d’un vaste système sédimentaire jusqu’ici inconnu et interprété comme étant l’un des plus grands systèmes fluviatiles datant de la crise messinienne. Actuellement enfoui en mer, dans une partie profonde du bassin, il contient un volume de sédiment de plus de 4150 km3, et est de taille comparable à celle du Nil à la même époque. Le réseau fluviatile identifié, baptisé Nahr Menashe, prend sa source dans le sud de la Turquie et l'ouest de la Syrie. Il s'étend en mer sur plus de 500 km, sinuant au sommet des couches de sel dans le bassin profond, et s’achève par six lobes deltaïques déposés au sud du mont sous-marin d'Eratosthène. Ces observations fournissent des preuves claires qu’après le dépôt du sel, une partie du bassin profond a été exondé et soumis à l’érosion subaérienne. D’après les auteurs, compte tenu du contexte géologique, seule une baisse du niveau de la mer de grande amplitude pourrait être à l'origine des objets géologiques observés. 

Une partie de la Méditerranée orientale se serait ainsi temporairement asséchée pendant la crise de salinité messinienne. Ces résultats remettent en question certaines hypothèses récentes proposant que les dépôts tardi-messiniens dans cette même zone se soient mis en place en eau profonde. Cette étude met également en lumière le développement d'importantes conditions non marines en Méditerranée orientale, et le rôle jusqu'alors négligé des grands systèmes fluviatiles dans la dilution des lacs ou bassins hypersalins pré-existants, avant que les conditions marines normales ne soient rétablies dans le bassin méditerranéen, il y a environ 5.3 millions d’années.

 

Source(s): 

Madof A., Bertoni C. and Lofi J (2019) Discovery of vast fluvial deposits provides evidence for drawdown during the late Miocene Messinian salinity crisis, Geology, doi:10.1130/G45873.1