Météo de l’espace : quand l’activité solaire chamboule la Terre
1859, on observe des aurores boréales aux Caraïbes. 1989, par un hiver glacial, six millions de Québécois se trouvent privés d’électricité. Le point commun entre ces deux événements ? Leur responsable : une éruption solaire ! Nous faisons le point avec Thierry Dudok de Wit et Aurélie Marchaudon sur ces évènements qui, en raison de leurs impacts potentiels sur Terre, font partie des catastrophes naturelles qui peuvent nous toucher.
« En général, nous sommes bien protégés du Soleil, explique Aurélie Marchaudon, chercheuse à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP). Notre atmosphère bloque une grande partie des rayons UV et X et notre magnétosphère dévie le vent solaire (flux de plasma). Mais quand les éruptions solaires sont suffisamment fortes et orientées vers la Terre, elles peuvent créer des perturbations sur notre planète. » L’étude de ces phénomènes est appelée “météo de l’espace”. Les éruptions solaires sont de brusques flashs de rayonnement qui se produisent à la surface du Soleil, et s’accompagnent généralement d’une violente éjection de plasma (flux d’ions et d’électrons). Tout cela dure quelques minutes. Pour le plasma, on parle d’éjection de masse coronale (EMC). Les éruptions solaires sont fréquentes mais les évènements extrêmes assez rares. Elles ont lieu au niveau des taches solaires qui sont des zones où le champ magnétique est particulièrement intense. Elles sont plus fréquentes à certaines périodes car l’activité solaire suit un cycle d’environ 11 ans qui correspond à la durée de l’inversion du champ magnétique du Soleil. Pendant les 5/6 premières années du cycle, l’activité solaire augmente jusqu’à atteindre un pic, puis diminue. Le dernier minimum date de janvier 2020 et le prochain maximum est attendu pour l’été 2025.
Quels sont les effets des éruptions solaires sur Terre ?
L’atmosphère terrestre est composée de plusieurs couches, dont l’ionosphère qui contient, comme son nom l’indique, beaucoup d’ions, mais aussi des électrons. Lorsqu’une grosse éruption solaire se produit, la quantité de rayons UV et de rayons X qui pénètre l’atmosphère augmente. Ce rayonnement va arracher des électrons aux molécules de l’atmosphère, formant de nouveaux ions dans l’ionosphère et la rendant plus dense. Une fois l’éruption passée, les processus de recombinaison chimique naturels ramènent l’ionosphère à son état normal. Par ailleurs, les EMC sont accompagnées d’un renforcement du champ magnétique qui peut modifier la forme du champ magnétique terrestre et affecter l’ionosphère. On parle d’orage magnétique. « Lorsqu’on souffle sur une bulle de savon, elle change de forme. Il se passe la même chose quand une EMC atteint notre champ magnétique », compare Thierry Dudok de Wit, chercheur au Laboratoire de physique et chimie de l'environnement et de l'espace (LPC2E). Ces orages conduisent à l’apparation d’aurores boréales à des latitudes beaucoup plus basses que d’habitude.
« Les effets sur Terre peuvent durer de quelques minutes à plusieurs heures et les zones les plus touchées sont les régions polaires et équatoriales, contextualise Aurélie Marchaudon. En effet, les zones équatoriales sont celles qui reçoivent le plus de rayonnement, tandis que les régions polaires, vers lesquelles convergent les lignes du champ magnétique terrestre, sont davantage affectées lors de l’impact d’une EMC. »
Mais quelles conséquences pour nous ? Pour communiquer avec les satellites, les ondes radio que nous émettons depuis la Terre doivent traverser l’ionosphère. Celle-ci étant plus dense que d’habitude, les ondes vont être ralenties, voire absorbées. L’augmentation de densité entraine également plus de frottements pour les satellites qui vont ralentir et peuvent perdre jusqu’à plusieurs kilomètres d’altitude. Il faut alors rapidement les remettre sur leurs orbites, tout en s’assurant qu’ils n’entrent pas en collision avec des débris spatiaux. Le risque est non négligeable puisqu’il y a des centaines de milliers de débris qui tournent autour de la Terre. Les instruments à bord des satellites peuvent également être abîmés par les particules de haute énergie (ions, électrons) qui les bombardent. « La solution serait de blinder les parties sensibles, mais cela alourdirait les satellites et rendrait leur lancement beaucoup plus cher », précise Thierry Dudok de Wit. En moyenne, un à deux satellites sont ainsi mis hors service par cycle solaire.
Effets sur Terre de certaines des plus grosses éruptions solaires
Août 1859 : Une éruption, baptisée "évènement de Carrington" d’après l’astronome l’ayant observée, est considérée comme la plus grosse éruption solaire jamais observée. Elle a fortement perturbé les télécommunications par télégraphe électrique.
Mai 1921 : les radiocommunications ont été perturbées dans le monde entier et le service télégraphique a cessé de fonctionner aux États-Unis
Janvier 1938 : les transmissions radio ont été interrompues pendant près de 12 heures au Canada et des pannes électriques ont provoqué l’arrêt de trains en Angleterre et le dysfonctionnement des systèmes de télétype de la Western Union de New York
Mars 1989 : six millions de personnes se sont retrouvées privées d’électricité au Québec, des satellites ont quitté leur orbite pendant plusieurs heures et il y a eu d’importantes pannes des systèmes de communication dans le monde
Octobre 2003 : les tempêtes solaires d’Halloween ont abimé plusieurs satellites et provoqué une panne de courant d’une heure en Suède
En Juillet 2012, une grosse éruption solaire a manqué de peu de frapper la Terre. À quelques jours près elle aurait produit d’importants dégâts.
Lors d’une éruption solaire, les avions et navires, qui s’appuient sur les satellites pour s’orienter, peuvent se retrouver temporairement privés de système de navigation par GPS. Cela peut être extrêmement dangereux et avoir des répercussions sur l’environnement. « On songe à ouvrir des voies polaires de navigation maritime pour raccourcir certains trajets, mais en cas d’éruption solaire, les pétroliers pourraient alors se retrouver désorientés, s’échouer et provoquer une marée noire », illustre Thierry Dudok de Wit. Les armées utilisent aussi les ondes radio pour communiquer avec leurs troupes à distance et envoyer des missiles. En pleine guerre du Golfe, des tirs de missiles guidés par GPS furent ainsi interrompus en raison d’une perte de précision sur le positionnement.
Le risque existe aussi pour les humains. « Tant qu’on a les pieds sur Terre, on ne craint rien, précise Aurélie Marchaudon. En revanche, lors d’une grosse éruption, le personnel des avions et les astronautes sont exposés à de fortes doses de rayonnement qui peuvent nuire à leur santé. » À bord de la station spatiale internationale, les astronautes peuvent se réfugier dans des parties de la station qui résistent mieux aux rayonnements, mais dans les avions, il n’y a nulle part où se cacher.
Enfin, les réseaux de distribution d’électricité peuvent être fortement perturbés par les EMC. Celles-ci créent des courants dans l’ionosphère qui, à leur tour, génèrent des courants à l’intérieur de l’écorce de la Terre. Ces courants cherchent les chemins les plus courts pour se déplacer, à savoir les pipelines et les lignes à haute tension. Le problème, c’est qu’ils engendrent des surtensions au niveau des transformateurs qui peuvent les faire disjoncter ou les détruire. Par exemple, en mars 1989 au Québec, lors d’un hiver très rude, une éruption solaire a provoqué l’écroulement du réseau électrique d'Hydro-Québec, privant six millions de personnes d’électricité pendant neuf heures. « Ce qui nous inquiète surtout aujourd’hui, c’est l’interconnexion des réseaux des pays car il pourrait y avoir des réactions en chaîne », déclare Thierry Dudok de Wit. Pour éviter cela, il faudrait que les réseaux soient surdimensionnés, comme en Scandinavie. »
Comment étudie-t-on l’activité solaire ?
L’activité solaire est difficile à suivre depuis le sol car il faut pouvoir observer le Soleil 24h/24 sans qu’il soit occulté par l’atmosphère terrestre. Les scientifiques utilisent donc des satellites équipés d’imageurs et d’instruments qui sondent le plasma. Aujourd’hui, divers satellites scientifiques, tels que Solar Orbiter, permettent d’étudier le Soleil ainsi que le milieu qui le sépare de la Terre. D’autres nous renseignent sur l’état de l’ionosphère. « Mais chacun ne fournit qu’une vue très partielle de ce qui se passe dans l’espace, regrette Thierry Dudok de Wit. Nous sommes encore loin d’avoir un système d’observation dédié à une surveillance permanente, comme c’est le cas en météorologie terrestre. » Les scientifiques utilisent aussi des instruments au sol qui mesurent, notamment, les fluctuations du champ magnétique. D’autres techniques peuvent être employées pour deviner, de manière indirecte, ce qu’il se passe au niveau de notre étoile. L’héliosismologie, par exemple, analyse ses vibrations pour en déduire l’activité sur sa face cachée.
Est-il possible de prédire les éruptions solaires ?
Les EMC prennent entre un et quatre jours à atteindre la Terre. Ainsi, si suffisamment de satellites orbitaient le Soleil, elles pourraient être détectées assez en avance pour nous laisser le temps de nous préparer. « Le problème est que l’impact d’une EMC sur la Terre dépend énormément des paramètres de son champ magnétique et que nous ne savons pas mesurer la structure du champ magnétique dans une EMC à distance », explique Aurélie Marchaudon. Le rayonnement, quant à lui, voyage à la vitesse de la lumière et met donc quelques minutes à parcourir la distance Soleil-Terre. Il n’est pas prévu de lancer une flotte de satellites solaires et même si c’était le cas, celle-ci ne pourrait donc pas nous permettre d’anticiper les éruptions solaires et leurs conséquences avec assez d’avance et de précision.
Il n’y a, pour cela, qu’une solution : prédire l’activité solaire et son impact à l’aide de modèles. Il est aujourd’hui très difficile de prédire une éruption. En revanche, pour suivre la propagation des perturbations et leur impact, il est possible de combiner des modèles des différentes régions entre le Soleil et la Terre : l’environnement solaire, le milieu interplanétaire, la magnétosphère terrestre et la haute atmosphère. « Si on arrive relativement bien à modéliser chaque région, le couplage des modèles reste très compliqué », précise Aurélie Marchaudon. Pourquoi ? Parce que les scientifiques manquent de données. En effet, les satellites fournissent des données locales mais ne permettent pas une reconstruction globale des interactions entre les régions. Même les échanges entre les couches de l’atmosphère posent question. L’atmosphère entre 50 et 200 km, par exemple, est très peu étudiée, on la surnomme d’ailleurs “ignorosphère”, car ni les ballons ni les satellites n’y ont accès. Difficile, donc, de connaître la haute atmosphère. Aujourd’hui, même si l’intelligence artificielle ouvre des perspectives intéressantes en météo de l’espace, l’observation du système Soleil-Terre reste la clé de la compréhension et de la prévision.
Marie Perez
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Thread Twitter sur ce sujet de la chercheuse Miho Janvier
Météo solaire, tempêtes et black-out, article de CNRS Le Journal