Mesurer la vapeur d’eau dans la basse atmosphère pour anticiper les inondations en Méditerranée
Afin de mieux prévoir les inondations liées aux épisodes de fortes pluies qui ont lieu chaque année en Méditerranée, le projet ANR WaLiNeAs va réaliser des mesures de vapeur d’eau dans la basse atmosphère qui seront intégrées dans le modèle de prévision de Météo-France. Né d’un partenariat entre Météo-France, le CEA et le CNRS via l'association de trois laboratoires que sont le Centre national de recherches météorologiques (CNRM), le Laboratoires des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) et le Laboratoire atmosphères et observations spatiales (LATMOS), le projet testera l’apport de cet outil de prévision intégré pendant quatre ans. Cyrille Flamant, directeur de recherche CNRS au LATMOS et porteur du projet, répond à nos questions.
Que sont les épisodes méditerranéens et pourquoi sont-ils difficiles à prévoir ?
Chaque automne, le sud-est de la France est frappé par des épisodes méditerranéens – épisodes de précipitations intenses qui peuvent engendrer d’importantes inondations. À la fin de l’été, des vents du Sud/Sud-Est remontent vers la France et, la Méditerranée étant encore chaude, ils soulèvent sur leur passage une masse d’air chaud et humide. Il y a ensuite deux scénarios possibles. Soit cette masse d’air est tellement instable qu’elle forme un système orageux qui peut précipiter dès le littoral. Soit, lorsqu’elle atteint les reliefs montagneux de la région, elle se refroidit, entraînant la condensation d’une part importante de la vapeur d’eau qu’elle contient et provoquant de fortes pluies. Dégâts matériels et pertes humaines sont souvent à déplorer car ces épisodes restent compliqués à anticiper, tant au niveau de leur localisation que de leur chronologie et de la quantité de pluie. Une des raisons est que nous ne disposons pas de mesure de vapeur d’eau avec une bonne résolution verticale dans les trois premiers kilomètres de l’atmosphère. Grâce à son réseau de radars ARAMIS, Météo-France peut mesurer la quantité de pluie en temps réel au niveau du sol. Au-dessus de trois kilomètres, les satellites surveillent des indicateurs de précipitation. Mais entre les deux, il n’existe pas de système d’observation opérationnel capable de nous renseigner sur la variabilité de la vapeur d’eau avec la résolution verticale nécessaire.
En quoi consiste le projet WaLiNeAs ?
Nous allons mettre en place un réseau de lidars en Méditerranée Occidentale pour mesurer la vapeur d’eau dans cette couche atmosphérique et ainsi combler la zone « aveugle ». Ce réseau sera coordonné par le LSCE qui va développer de nouvelles versions des lidars Raman et DIAL pour répondre aux besoins du projet. La télédétection par lidar est une technique de mesure à distance. Il s’agit d’envoyer un faisceau lumineux (souvent issu d’un laser) vers une cible et de mesurer la distance et les propriétés de cette cible grâce au faisceau qu’elle renvoie. Grâce au projet HyMeX du programme MISTRALS et aux recommandations de Météo-France, nous savons que les mesures doivent être réalisées pendant au moins trois mois et sur de multiples sites. Nous effectuerons donc une campagne de mesures en continu sur cinq sites pendant trois mois. Les profils de vapeur d’eau ainsi acquis auront une très haute résolution verticale, d’environ 150 mètres, ce qui signifie qu’une mesure du contenu en vapeur d’eau sera obtenue tous les 150 mètres. Les données seront traitées en temps réel et ensuite introduites toutes les 15 minutes dans le modèle de prévision météorologique AROME de Météo-France. L’objectif, à moyen terme, est d’améliorer la prévision des évènements fortement précipitants afin de prévenir les populations des zones à risque au moins deux jours à l’avance.
Pourquoi n’existait-il pas de réseau lidar jusqu’à présent ?
C’est une histoire de maturité technologique. Les radars ont beaucoup d’avance sur les lidars car ils ont été perfectionnés par de nombreux pays pendant la Seconde Guerre mondiale. Les lidars ont été développés dans les années 1960 et ce n’est que depuis une dizaine d’années qu’ils ont commencé à pouvoir fonctionner de manière automatique et autonome.
Comment le projet va-t-il être mis en œuvre ?
Le financement vient d’être validé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le lancement officiel du projet aura lieu en avril 2021. Nous sommes actuellement en train d’obtenir les autorisations nécessaires pour l’installation des lidars sur les cinq sites identifiés : à Minorque, en Sardaigne, près de Montpellier, sur l’île du Levant et dans la vallée de l’Aude. Ces sites ont été choisis pour surveiller différentes zones à risque et zones de passage de masses d’air critiques. La campagne de mesure de trois mois aura lieu à l’automne 2022, l’automne étant la saison des épisodes méditerranéens. Une fois la campagne terminée, nous étudierons comment améliorer le traitement et la précision des données. Si, au terme des quatre années du projet, Météo-France est convaincu de l’intérêt d’intégrer des données lidar dans AROME, nous pourrons alors envisager l’installation un réseau lidar pérenne.
Anticipez-vous des difficultés techniques ?
Non, car les lidars doivent juste avoir accès à l’électricité et à Internet (pour fournir les données à Météo-France en temps réel) et que le système sera complètement automatisé. La chose seule qui pourrait poser problème pour le projet serait s’il n’y avait pas ou peu d’épisodes méditerranéens en 2022, mais cela est très peu probable.
Les données obtenues peuvent-elles présenter un autre intérêt ?
Les lidars sont capables de cibler des molécules dans l’atmosphère ce qui leur permet de détecter, en plus de la vapeur d’eau, les aérosols et les poussières désertiques en provenance de l’Afrique. Nos données seront mises en accès libre sur le centre de données Data Terra afin que d’autres équipes de recherches, étudiant par exemple la pollution méditerranéenne, puissent s’en servir si nécessaire.
Propos recueillis par Marie Perez