MOGPA : Faire avancer nos connaissances sur le changement climatique
Zoom sur quelques projets
Les émissions urbaines de gaz à effet de serre (GES) représentent environ 70 % des émissions globales et pourraient augmenter rapidement avec le doublement de la population urbaine selon les projections faites sur les 15 prochaines années. Le contrôle de ces émissions nécessite la mise en place de méthodes de mesure indépendantes pour suivre l'efficacité des plans climat implantés par les villes. C’est avec cet objectif que Thomas Lauvaux, Philippe Ciais et Valérie Gros, chercheurs au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), ont lancé le projet CIUDAD, financé dans le cadre de l’appel Make Our Planet Great Again du Programme d’investissements d’avenir. Thomas Lauvaux nous explique les étapes du projet et ses motivations.
De plus en plus de villes essayent de réaliser des bilans de leurs émissions de GES pour savoir comment orienter leurs politiques climatiques. Pour cela, elles se basent sur des inventaires qui recensent les quantités de GES émis par les différents secteurs d’activité de la ville (trafic routier, consommation d’électricité, activité industrielle etc.). Le problème, c’est que ces inventaires sont souvent inadaptés à la ville, trop anciens, ou incomplets. Résultat : les bilans sont faux et/ou périmés. Après avoir procédé à une évaluation dans les villes d’Amérique du Nord, nous nous sommes rendus compte que leurs bilans étaient sous-estimés de 20 à 30 % ! Pour pouvoir compléter les inventaires et travailler davantage en temps réel, il faut pouvoir mesurer les GES grâce à de capteurs atmosphériques et étudier les modèles météorologiques qui indiquent la provenance et le déplacement des masses d’air. Le projet CIUDAD vise à accompagner les villes dans cette démarche et à les aider à mettre en place, avec les chercheurs locaux, un réseau de capteurs qui soit adapté à leurs configuration et caractéristiques. Pour le moment, cela a bien fonctionné pour Paris, Los Angeles, Washington et Indianapolis, et nous sommes en train de travailler avec Mexico et Jakarta.
À Paris, nous nous appuyons sur deux réseaux de capteurs existants. Le premier est celui du LSCE qui comprend six tours équipées de capteurs mesurant le dioxyde de carbone (CO2), le monoxyde de carbone (CO) et le méthane (CH4), placés à des hauteurs allant de 20 à 80 mètres. Deux des tours sont dans Paris et les quatre autres en banlieue. Le deuxième réseau est celui d’AirParif, l’observatoire de la qualité de l’air en Île-de-France, qui mesure essentiellement les oxydes d’azote (NOx)1 , les particules fines (PM) et les composés organiques volatils (COV) grâce à une quarantaine de capteurs. Nous n’avons recours qu’à la dizaine de capteurs situés à 20-30 mètres de hauteur afin d’avoir une cohérence dans les données des deux réseaux. Comme chaque composé est émis par certains secteurs plus que d’autres, par exemple le trafic routier émet un certain niveau de CO et de NOx alors que le chauffage au bois émet beaucoup de NOx mais pas de CO, il est possible de différencier les secteurs dans les mesures. La saisonnalité (absence de chauffage en été) et les cycles diurnes (pics de trafic aux heures de pointe) nous permettent également de mieux cerner quels secteurs contribuent aux observations. En parallèle, nous étudions les modèles météorologiques qui nous indiquent d’où proviennent les masses d’air qui arrivent sur Paris. Une fois que nous savons d’où elles viennent, les mesures réalisées en dehors de l’agglomération par les tours du LSCE permettent de soustraire les GES amenés par le vent, et donc non-émis par la ville, au bilan total. Grâce à cette approche, nous obtenons des bilans mensuels relativement fiables. Pour être plus précis, il nous faudrait davantage de capteurs et mieux comprendre comment sont transportés certains GES dans la ville.
L’accès à certaines données, comme les données industrielles ou celles qui relèvent de la vie privée, sont très compliquées à obtenir et la ville n’a pas l’autorité nécessaire pour les réclamer. Pour que nous puissions accéder aux données manquantes, il faudrait que le gouvernement mette en place des lois qui encadrent leur mise à disposition. Pour le moment, nous sommes donc obligés de faire des estimations pour certains secteurs.
Avant, je faisais de la recherche sur le rôle des plantes dans le cycle carbone et je voyais moins concrètement l’utilité de mon travail. Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de prouver le changement climatique, nous avons besoin de trouver des solutions efficaces et applicables rapidement. Avec le projet CIUDAD, j’essaye de donner les moyens aux maires de mettre en place des plans climat qui collent vraiment à la réalité de leur ville, et de mesurer rapidement l’impact de ces plans pour les adapter si besoin. Un des prochains sujets auxquels j’aimerais m’attaquer est celui des labels, afin d’inciter les acteurs économiques à s’engager davantage dans la transition énergétique.
CIUDAD se termine en août mais nous allons, bien entendu, suivre l’impact des politiques publiques dans les villes avec lesquelles nous travaillons durant les prochaines années. Dans le futur, l’idéal serait d’avoir un suivi dynamique, c’est-à-dire en temps réel, et de pouvoir affiner les émissions aux arrondissements. Pour avoir davantage de données, nous avons commencé à nous intéresser aux images satellites. Celles-ci représentent, par ailleurs, une alternative prometteuse pour les villes qui n’ont pas les moyens d’installer un réseau de capteurs. Pour le moment, il n’existe pas énormément de satellites qui mesurent les GES mais il va y en avoir de plus en plus. La mission européenne CO2M (Copernicus carbon dioxide monitoring) a prévu de mettre en orbite, d’ici 2025, deux satellites de mesure de CO2 qui couvriront l’ensemble de la Terre, et la NASA devrait lancer, en 2022, le satellite géostationnaire GeoCarb qui observera les émissions de CO2, de CH4 et de CO du continent américain. En parallèle de CIUDAD, nous avons été contactés par le groupe Suez pour les aider à lancer Origins.Earth, un outil commercialisable de mesure de CO2. C’est une bonne nouvelle que le secteur privé se lance dans ce domaine ! Ainsi, certaines villes qui ne disposent ni d’agence publique comme AirParif, ni de laboratoire de recherche comme le LSCE, pourront acheter ce type d’outil. Je suis convaincu que le public et le privé doivent travailler ensemble afin que nos méthodes et nos modèles gagnent en fiabilité et qu’un maximum de villes puissent s’en saisir.
Propos recueillis par Marie Perez
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