Les sédiments accumulés dans les égouts, reflet de notre quotidien
Dans le cadre du projet Golden Spike, des chercheurs français1 ont étudié une archive sédimentaire originale : les matières accumulées entre mai 2015 et mars 2016 dans un bassin de décantation du réseau d'assainissement d'Orléans. L'utilisation de marqueurs originaux leur a permis de relier le contenu de ces sédiments aux évènements pluvieux locaux qui se sont produits durant cette période.
- 1Étaient impliqués dans cette étude le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE/IPSL, CNRS / CEA / Université Versailles St-Quentin), l’Institut des sciences de la Terre d'Orléans (ISTO/OSUC, CNRS / Université d’Orléans / BRGM), le laboratoire Environnements, dynamiques et territoires de la montagne (EDYTEM, Université Savoie Mont Blanc / CNRS / ministère de la Culture), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ainsi que la Direction du cycle de l’eau et des réseaux d’énergie (Orléans Métropole).
Les carottes sédimentaires prélevées, par exemple, au fond des lacs sont des archives qui permettent de mieux comprendre et de quantifier les évolutions passées du climat et des écosystèmes. Par analogie, les sédiments qui s'accumulent dans les égouts peuvent constituer des archives du fonctionnement quotidien du milieu urbain au cours de l'Anthropocène. C'est le parti pris du projet Golden Spike réalisé entre 2017 et 2018 à l’ISTO avec le soutien d'Orléans Métropole.
Des chercheurs du LSCE, de l’ISTO, du BRGM et d’EDYTEM ainsi que des agents de la Direction du cycle de l’eau et des réseaux d’énergie (Orléans Métropole) ont profité des travaux de rénovation de la chambre à sable d'Orléans, ouvrage qui permet la décantation des particules charriées par les eaux usées et pluviales du réseau unitaire d'assainissement, en amont des stations d'épuration. Entre deux opérations de curage des sédiments, une carotte de 1,5 m de long, correspondant à près d'un an d'accumulation de matières (mai 2015 - mars 2016), a été prélevée.
Cette carotte présentait des changements verticaux nets avec, à la base, des sédiments fins et organiques, puis des sédiments grossiers et minéraux et au sommet des sédiments fins et minéraux.
Pour comprendre l'origine de ces divers types de sédiments, les chercheurs ont utilisé des marqueurs originaux : des traceurs moléculaires fécaux (des acides biliaires), des radioéléments et des microbilles de verre qui entrent dans la composition des peintures blanches de marquage au sol (passages piétons, lignes de circulation) pour augmenter leur pouvoir réfléchissant. Les marqueurs fécaux se sont révélés très abondants dans les sédiments organiques, témoignant d'un apport par les eaux usées. À l'inverse, les microbilles de verre ont été principalement retrouvées dans les sédiments minéraux, témoignant d'un apport par les eaux pluviales.
Une fois l'origine des sédiments déterminée, l'évolution verticale des types de sédiments a été comparée à l'évolution des débits des eaux dans le réseau et aux évènements pluvieux. En l'absence d'évènements pluvieux, les matières déposées dans la chambre à sable sont essentiellement celles apportées par les eaux usées, chargées en matières organiques. À l'inverse, lors de forts évènements de précipitation, ce sont essentiellement les particules minérales grossières provenant du lessivage des chaussées et trottoirs qui sont transportées et déposées dans la chambre à sable, et ce faisant viennent perturber la sédimentation régulière due aux eaux usées, à l'instar des épisodes de crues dans les lacs.
Ces sédiments singuliers répondent donc très directement aux évènements météorologiques qui affectent le milieu urbain. Des travaux se poursuivent actuellement sur ces sédiments. Ils concernent les dépôts accumulés depuis plus de 30 ans dans la chambre à sable et sauvegardés avant les travaux de rénovation. Les chercheurs examinent également d'autres marqueurs moléculaires dérivant de diverses substances (médicaments par exemple) qui permettront de retracer le quotidien des populations urbaines.
Pour en savoir plus
Reportage Photo dans Le Journal du CNRS : L'étonnante mémoire des eaux usées
Source
Jacob, J., Thibault, A., Simonneau, A., Sabatier, P., Le Milbeau, C., Gautret, P., Ardito, L., Morio, C., 2020. High-resolution sedimentary record of anthropogenic deposits accumulated in a sewer decantation tank. Anthropocene, Volume 30, April 2020. https://doi.org/10.1016/j.ancene.2020.100238
Dépôt HAL : https://hal-insu.archives-ouvertes.fr/insu-02507329