Les microbes océaniques dévoilent leurs secrets dans le stockage du carbone

Résultat scientifique Océan Atmosphère

Une équipe internationale, incluant des chercheurs du CNRS Terre & Univers, vient de modifier notre compréhension du rôle des microorganismes dans le stockage du carbone par l'océan. Cette découverte majeure, publiée dans la revue Nature, ouvre de nouvelles perspectives pour modéliser l'impact de l'océan sur le climat futur.

Chaque année, l'océan absorbe entre 5 et 10 gigatonnes de carbone atmosphérique via des processus biologiques, jouant ainsi un rôle crucial dans la régulation du climat. Ce carbone est transporté vers les profondeurs sous forme de particules organiques, constituant ce que les scientifiques appellent la "pompe biologique à carbone". L'efficacité de cette pompe dépend en grande partie de l'activité des microbes et du zooplancton, qui transforment et dégradent la matière carbonée au cours de son transfert vers l'océan profond. Cependant, les mécanismes précis qui contrôlent ce processus restaient jusqu'ici mal compris.

Pour percer ce mystère, les chercheurs ont déployé un dispositif innovant baptisé C-RESPIRE dans six régions océaniques aux caractéristiques contrastées. Cet instrument, fixé sur une ligne de mouillage dérivante, permet de mesurer avec une précision inédite la dégradation des particules organiques par les microorganismes marins dans la zone mésopélagique, située entre 100 et 1000 mètres de profondeur. Les mesures ont été réalisées dans des conditions in situ de pression et de température, garantissant ainsi leur pertinence écologique.

Les résultats révèlent une forte variabilité régionale dans le rôle respectif des microbes et du zooplancton. Dans les 300 premiers mètres de la zone mésopélagique, la contribution des microbes à la dégradation du carbone organique ne dépasse pas 30% de l'atténuation totale du flux de particules. Ce constat, inattendu, suggère un rôle prépondérant du zooplancton dans la transformation des particules à ces profondeurs. Cependant, l'étude indique que l'importance relative des microbes augmenterait avec la profondeur, devenant potentiellement dominante dans les couches plus profondes.

Plus surprenant encore, l'étude met en lumière une diversité de facteurs contrôlant l'activité microbienne selon les régions océaniques. Dans les zones (sub)tropicales, où les gradients de température sont marqués, celle-ci joue un rôle prépondérant dans la régulation de l'activité microbienne. En revanche, aux moyennes et hautes latitudes, où les gradients thermiques sont moins prononcés, d'autres facteurs entrent en jeu. La composition biochimique des particules, la physiologie et l'écologie des communautés microbiennes, ainsi que leurs interactions complexes avec le zooplancton semblent être des éléments clés dans ces régions.

Ces découvertes remettent en question les modèles actuels de la pompe biologique à carbone, qui reposaient jusqu'ici sur une relation empirique simplifiée, connue sous le nom de "courbe de Martin". Cette courbe, largement utilisée dans les modèles biogéochimiques, ne permet pas de rendre compte de la diversité des mécanismes mis en évidence par cette étude.

Les résultats soulignent la nécessité de prendre en compte la diversité des pompes biologiques régionales, chacune ayant ses propres caractéristiques en termes d'influence microbienne et de facteurs de contrôle. Cette complexité nouvellement révélée ouvre la voie à une représentation plus fine et plus réaliste de l'atténuation des flux de carbone dans les modèles océaniques.

Cette avancée scientifique majeure offre de nouvelles pistes pour améliorer notre compréhension et notre capacité à prédire l'évolution du cycle du carbone océanique face au changement climatique. Elle souligne également l'importance de poursuivre les recherches sur les interactions complexes entre microorganismes, zooplancton et particules organiques dans l'océan profond, un domaine encore largement méconnu mais crucial pour l'avenir de notre planète

Laboratoire CNRS impliqué

Laboratoire d'océanographie de Villefranche (LOV) 
Tutelles : CNRS / Sorbonne Université

Contact

Matthieu Bressac
Chercheur CNRS au Laboratoire d'océanographie de Villefranche (LOV)