La recherche au service de l’action climatique
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) vient de terminer son sixième cycle sur l’évaluation démarré en 2015, avec la parution de son ultime rapport de synthèse le 20 mars dernier. Ce dernier rappelle la nécessité absolue d’une action urgente vis-à-vis des causes et des effets du changement climatique. Les prochaines années seront cruciales pour réduire l’escalade des risques climatiques, tant sur le plan de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre que sur celui de l’adaptation aux impacts actuels et à venir. Dans les prochaines années, le secteur de la recherche contribuera à participer à la compréhension du changement climatique et de ses conséquences. Dans ce contexte, le programme de recherche TRACCS1 , lancé le 29 mars, contribuera à apporter les outils nécessaires pour produire des connaissances sur le climat qui permettront d’aider à la prise de décision.
On revient sur le rôle de la recherche dans la production d’information pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique avec Samuel Morin, chercheur à Météo-France et co-directeur du programme TRACCS, Robert Vautard, chercheur CNRS et directeur de l’IPSL2 , Sandrine Anquetin, chercheuse CNRS et enfin Eric Sevrin, directeur du CNPF-IDF3 .
L’importance des services climatiques
Selon la définition du Giec, les services climatiques représentent l’ensemble des actions qui consistent à apporter de l’information sur le climat pour aider la prise de décision afin d’atténuer le changement climatique (via la baisse des gaz à effet de serre par exemple), et/ou de s’adapter au changement. Au cours des dernières décennies, la communauté scientifique a apporté des connaissances robustes sur l’ampleur du changement climatique et le rôle que les gaz à effet de serre y tiennent. La production de services climatiques s’inscrit dans la continuité de l’effort de production de connaissances, qui passe par différentes méthodes (observation, simulation, modélisation…).
Le développement d’un service climatique requiert l’engagement non seulement des fournisseurs de données scientifiques robustes (experts/scientifiques) mais aussi des utilisateurs (décisionnaires/acteurs territoriaux). Les expertises et les données vont dans les deux sens : du fournisseur vers l’utilisateur mais aussi de l’utilisateur vers le fournisseur. D’une manière générale, les utilisateurs peuvent peiner à définir leurs propres besoins (en connaissances, en formations, en matériels), tandis que les fournisseurs de données et de connaissances, comme les organismes de recherches par exemple, connaissent mal les questions des utilisateurs. En effet, si ces derniers sont conscients du changement climatique, ils ne savent ni à quel point ni dans quelle mesure il va se manifester, ni comment formuler leur question précise. Cela s’explique par une méconnaissance des sciences climatiques, qui restent encore aujourd’hui complexes et difficilement abordables pour des non-spécialiste.
Pour pouvoir développer des services climatiques, utilisateurs et fournisseurs doivent définir ensemble les besoins, des données et des connaissances nécessaires vis-à-vis d’une question donnée. Les scientifiques enrichissent les connaissances des utilisateurs tandis que ces derniers apportent une nouvelle perspective de recherche aux scientifiques. Les scientifiques pourront alors s’adapter en fonction de la demande, ce qui pourra motiver le développement de modèles de climat ou d’impacts plus précis ou de méthodes de correction des résultats des modèles en fonction du territoire par exemple. La recherche œuvre au développement de services climatiques en fonction des différents besoins. Par exemple, les agriculteurs vont avoir besoin de savoir comment leur activité va être modifiée par le changement climatique, les collectivités d’un plan d’adaptation (par exemple le plan d’adaptation de l’Île-de-France) , le secteur de la santé aura besoin de comprendre les vagues de chaleur pour pouvoir s’adapter. D’autres besoins concernent la mise à disposition de l’information (par exemple pour mieux comprendre l’attribution de phénomènes météorologiques extrêmes au changement climatique).
Pour que les services climatiques soient de bonne qualité, la multidisciplinarité de la recherche est cruciale : elle doit croiser sciences du climat et sciences humaines et sociales par exemple. La co-construction entre les scientifiques et les acteurs territoriaux l’est tout autant. Le programme de recherche TRACCS a pour objectif de soutenir ces perspectives de développement de services climatiques et d’apporter des outils pour les consolider.
Services climatiques : les exemples de ClimSnow et ClimEssences.
ClimSnow, porté par Météo-France, l’Inrae et Dianeige1 , s’est développé dans un contexte de réduction de l’enneigement des massifs montagneux, principalement à basse et moyenne altitude. Il a été construit comme un outil d’aide à la décision concernant les domaines skiables. ClimSnow permet de quantifier l’effet des techniques de gestion de la neige (damage, production de neige) et, à diverses échéances, l’évolution des températures et la fiabilité de l’enneigement, sa variabilité et la capacité de chacune des stations à maintenir son exploitation. En utilisant les informations fournies par ClimSnow, il est donc possible de tenir compte de l’impact de l’évolution du climat dans les réflexions prospectives sur les stratégies touristiques, l’aménagement et les transitions des territoires de montagne.
ClimEssences, porté par l’ONF2 et le CNPF-IDF3 au sein du RMT AFORCE4 , est un outil d’aide à la décision, pour l’adaptation des forêts au changement climatique. Il met à disposition une série d’informations pour le choix des essences (espèces forestières arborées) dans ce contexte. Ce service climatique permet d’améliorer la connaissance sur les différentes essences de la forêt, de comprendre les évolutions du climat à l'échelle d'une région forestière selon différents scénarios de changement climatique, et d’outiller la réflexion long terme sur le choix des essences en proposant une représentation simplifiée de leur comportement par rapport au climat.
Les Groupes régionaux d’experts sur le climat (GREC) : une territorialisation de la co-production de l’information climatique
Les GRECs, réunis au sein d’un réseau national, sont des structures qui mobilisent des réseaux de chercheurs et d'acteurs territoriaux (publics, privés, associatifs) afin de mieux connaître le contexte local et informer sur les prises de décision en matière de changements climatiques à l’échelle régionale et locale, de collecter les besoins des acteurs du territoire et faciliter leur participation à des projets de recherche. Chaque GREC est spécifique en fonction du contexte scientifique et des enjeux de sa région.
Par exemple, le GREC Alpes Auvergne s’inscrit comme une structure d’intermédiation science-société, à travers une démarche de co-construction de projet avec les acteurs des territoires pour mieux appréhender les enjeux climatiques et les enjeux de biodiversités. Le GREC repose sur quatre missions principales : l’accès à la donnée (réseaux d’observation, système d’information de métadonnées), la formation (identifier les besoins de formation continue pour les décideurs socio-économiques), la mise en lien des différents acteurs (colloque, journée d’études, séminaires, projet de communication), l’accompagnement aux projets de recherches partenariales (en fonction des besoins et du contexte, les enjeux sont de travailler sur l’interdisciplinarité pour faciliter l’émergence de projet plus ancré dans les territoires).
Le PEPR1 TRACCS : Transformer la modélisation du climat pour les services climatiques
Même si l’on a accumulé beaucoup de connaissances sur les causes et la gravité de la situation, les sciences du climat doivent encore s’améliorer, notamment concernant la production de connaissances, de données et d’informations sur les manifestations locales du changement climatique. Les avancées technologiques et scientifiques (nouvelles architectures de calcul et techniques d’intelligence artificielle) ouvrent de nouvelles perspectives pour les sciences du climat. Dans ce contexte, le programme TRACCS vise à transformer les méthodes de modélisation en améliorant connaissances et outils concernant les impacts et les risques, dont une des perspectives est de développer les services climatiques et répondre ainsi à certaines attentes sociétales.
À ces fins, Traccs a pour ambition de cultiver, entretenir et accroître les connaissances et l’expertise des scientifiques. Un de ses enjeux est également de former et de recruter la prochaine génération de chercheurs et ingénieurs en modélisation du climat. Le programme vise à réaliser des études académiques, parfois multidisciplinaires, pour fournir des informations adaptées et compréhensibles qui pourront aboutir à des services climatiques et une opérationnalisation de ces productions d’informations pour les acteurs territoriaux. TRACCS vise également à faire des recherches pour améliorer les connaissances et les outils qui permettent de produire l’information climatique, notamment les modèles de climat. Il est question d’améliorer la représentation des phénomènes locaux ainsi que d’augmenter les capacités des modèles de climat. Même si TRACCS n’est pas un projet dédié en priorité à la mise au point de solutions de décarbonation des activités humaines, il se positionne en articulation avec la recherche de solutions en apportant des connaissances pour mieux s’adapter et aboutir à des solutions durables face au changement climatique.
Julie Amblard
- 1Les PEPR (Programmes et équipements prioritaires de recherche ) comme Traccs font partie du plan d’investissement France 2030 . Ils visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques liés ou susceptibles d’être liés à une transformation technologique, économique, sociétale, sanitaire ou environnementale et considérés comme prioritaires au niveau national ou européen.