Photo du déploiement d’un piège/incubateur TM-RESPIRE dans la zone mésopélagique de l’océan Austral à bord du navire océanographique australien l’Investigator.
Déploiement d’un piège/incubateur TM-RESPIRE dans la zone mésopélagique de l’océan Austral à bord du navire océanographique australien l’Investigator. © Matthieu Bressac

La nature du fer exporté joue un rôle majeur dans son cycle océanique

Résultat scientifique Océan Atmosphère

Pour la première fois, une équipe internationale1 a réalisé des observations in situ de la régénération bactérienne du fer dans la zone mésopélagique – l’océan « noir » où la lumière ne pénètre pas – de l’océan Austral et de la mer Méditerranée. En combinant ces observations à des simulations numériques du modèle biogéochimique PISCES, les chercheurs ont mis en évidence les rôles contrastés du fer biogénique et du fer lithogénique dans la zone mésopélagique. Ils ont démontré que la nature biogénique ou lithogénique du fer particulaire exporté vers les profondeurs contrôlait le réapprovisionnement de ce réservoir profond en fer dissous à l’échelle globale.

  • 1Les laboratoires français impliqués dans cette étude sont les suivants : Laboratoire d’océanographie de Villefranche (LOV/IMEV, CNRS / Sorbonne Université), Institut méditerranéen d’océanographie (MIO/PYTHÉAS, AMU / CNRS / Université de Toulon / IRD), Laboratoire des sciences de l’environnement marin (LEMAR/IUEM, CNRS / UBO / IRD / Ifremer)

La zone mésopélagique (située entre la base de la couche euphotique et 1000 m de profondeur) représente un important réservoir de fer dissous, un élément chimique qui joue un rôle clé dans le contrôle de la production primaire océanique à l’échelle globale. Cette zone étant difficile à explorer, nos connaissances du cycle mésopélagique du fer, composante majeure de son cycle océanique, se limitent au découplage systématique observé entre la profondeur de reminéralisation du fer et celle d’autres éléments majeurs tels que le carbone ou l’azote. Une meilleure compréhension de la régénération du fer dans cette zone de l’océan profond représente donc un enjeu scientifique important pour mieux décrire la distribution globale du fer dissous et pour améliorer sa représentation dans les modèles biogéochimiques.

Cette méconnaissance de la régénération mésopélagique du fer est liée notamment à la difficulté d’étudier in situ la biogéochimie de la zone mésopélagique. Le développement récent des pièges/incubateurs RESPIRE et TM-RESPIRE permet désormais de mesurer simultanément et in situ les taux de reminéralisation bactérienne des flux de matière exportée vers les profondeurs et de libération de fer dissous associée à la dégradation de cette matière.
Grâce à ces instruments innovants, une équipe de recherche internationale1 a pu pour la première fois réaliser ces mesures dans des zones contrastées de l’océan : l’océan Austral et la mer Méditerranée2 . Ces deux environnements se caractérisent par une productivité en surface et des apports atmosphériques de matière lithogénique (issue des roches) très différents : dans l’Austral, le flux exporté de fer particulaire est essentiellement porté par des particules biogéniques (issues d’organismes vivants) alors qu’en Méditerranée, la composante lithogénique domine.

L’étude montre que l’efficacité de la régénération du fer est d’un à deux ordres de grandeur plus élevée quand les flux de fer sont essentiellement biogéniques que lorsque du matériel lithogénique est présent. Le réapprovisionnement du réservoir mésopélagique en fer dissous est donc fortement conditionné par la composition du fer particulaire exporté (c’est-à-dire biogénique ou lithogénique). Bien que les particules lithogéniques d’origine désertique soient considérées comme une source majeure de fer dissous pour l’océan de surface, il apparaît donc que plusieurs processus complexes font en revanche de ces particules un piège du fer dissous dans la zone mésopélagique.

Ces mesures in situ ont permis une première paramétrisation de la régénération mésopélagique du fer qui a été intégrée dans le modèle biogéochimique PISCES. Ces nouvelles simulations numériques révèlent que l’effet combiné des particules lithogéniques et de la dynamique océanique est responsable d’une redistribution majeure du fer dissous dans les premiers 1000 m de la colonne d’eau, non seulement dans les régions proches des déserts mais également à l’échelle de l’océan global. Dans un contexte de changement climatique et d’aridification, ces effets seraient accentués, avec d’importantes répercussions sur l’efficacité de la pompe biologique de carbone.

  • 1Les laboratoires français impliqués dans cette étude sont les suivants : Laboratoire d’océanographie de Villefranche (LOV/IMEV, CNRS / Sorbonne Université), Institut méditerranéen d’océanographie (MIO/PYTHÉAS, AMU / CNRS / Université de Toulon / IRD), Laboratoire des sciences de l’environnement marin (LEMAR/IUEM, CNRS / UBO / IRD / Ifremer)
  • 2Campagne océanographique PEACETIME à bord du N/O Pourquoi Pas ?

Source

Bressac M., C. Guieu, M.J. Ellwood, A. Tagliabue, T. Wagener, E.C. Laurenceau-Cornec, H. Whitby, G. Sarthou, P.W. Boyd. Resupply of mesopelagic dissolved iron controlled by particulate iron composition. Nature Geoscience, 2019, doi:10.1038/s41561-019-0476-6.

Contact

Matthieu Bressac
Chercheur CNRS au Laboratoire d'océanographie de Villefranche (LOV)