Identification et datation précise de la position stratigraphique de la transition entre le Pléistocène inférieur et le Pléistocène moyen à l’aide du nucléide cosmogénique bérylium-10

Des chercheurs du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CEREGE/PYTHÉAS, CNRS / AMU / IRD / Collège de France), du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE/IPSL, CNRS / CEA / UVSQ) et de l’Université de Bari Aldo Moro (Italie) ont étudié l’affleurement sédimentaire du site de Montalbano Jonico (Italie), candidat pour être le stratotype de la limite entre le Pléistocène moyen et le Pléistocène inférieur. Ils ont ainsi pu mettre en évidence, pour la première fois et avec une très haute précision, le doublement de production du 10Be dû à l’effondrement de l’intensité du champ magnétique terrestre qui s’est produit à cette époque, simultanément à son inversion de polarité. Ils ont également pu dater cette inversion de manière précise et absolue. Suite à ces travaux, les chercheurs estiment que cet affleurement est le meilleur candidat pour la limite considérée.

L’échelle des temps géologiques est basée sur la succession des crises biologiques ou climatiques qu’a connue la Terre en lien avec des bouleversements majeurs de l’environnement global. Les subdivisions chronologiques (ères, systèmes et étages) officielles sont localisées, et leurs limites symbolisées par la présence de Clous d’or (ou Points stratigraphiques mondiaux), qui marquent des séquences sédimentaires de référence, dit stratotypes. La définition de ces stratotypes est d’autant plus fiable et précise qu’elle est associée à de nombreux marqueurs d’événements géophysiques globaux (climat, champ magnétique, traceurs de matière extra-terrestre…).
La séquence marine exondée de Montalbano Jonico (commune située dans la région Basilicata, Italie) est candidate à sa reconnaissance comme stratotype de la limite entre le Pléistocène moyen et le Pléistocène inférieur, laquelle a été assignée à l’occurrence de la dernière inversion de polarité du champ magnétique terrestre, datée autour de 773 000 ans.

Bien que singulièrement riches en informations stratigraphiques et paléo-environnementales, les sédiments de la séquence de Montalbano Jonico ont subi une ré-aimantation post dépôt qui compromet l’identification de cette inversion via des mesures paléo-magnétiques classiques (étude de l’aimantation rémanente naturelle des sédiments). Afin de pallier cette difficulté, des chercheurs du CEREGE, du LSCE et de l’Université de Bari Aldo Moro ont mesuré, tout au long de cette séquence, la concentration du nucléide cosmogénique béryllium-10 (10Be), dont la production, inversement proportionnelle à l’intensité du champ magnétique, devrait doubler lorsque celui-ci s’effondre durant une inversion de polarité.
Sur ce site de Montalbano, la vitesse de dépôt des sédiments ayant été très rapide, de l’ordre de 80 cm par millier d’années, les chercheurs ont pu accéder à une résolution temporelle unique pour cette période dans une archive marine et ainsi restituer, pour la première fois et avec une très haute précision, ce doublement de production du 10Be.
Un autre grand intérêt de ce site est qu’il présente une couche de cendres volcaniques contemporaine de l’inversion du champ magnétique, ce qui a permis aux chercheurs de dater cet événement de manière précise et absolue (datation radiométrique 40Ar/39Ar). C’est la première fois que la transition Brunhes-Matuyama est datée directement dans une séquence sédimentaire marine sans avoir recours à un modèle d’âge.

Enfin, le contexte orbital et la concentration en CO2 atmosphérique lors du stade isotopique marin 19 ont permis aux chercheurs d’obtenir une chronostratigraphie isotopique (δ18O) extrêmement précise (résolution centennale), ce qui est d’un grand intérêt pour les paléo-climatologies dans la mesure où cet interglaciaire contemporain de l’inversion est le meilleur analogue de l’interglaciaire actuel (Holocène).

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Affleurement de Montalbano Jonico (Basilicata, Italie), candidat pour être le stratotype de référence de la limite entre Pléistocènes moyen et inférieur (© Patrizia Maiorano, Université de Bari Aldo Moro) avec, indiquée en jaune, la couche de cendres contemporaine de l’inversion du champ magnétique. En rouge, courbe du rapport authigène 10Be/9Be. En noir, stratigraphie isotopique à haute résolution du site.

En conclusion, les chercheurs estiment que cette identification stratigraphique robuste impose la séquence de Montalbano Jonico comme le meilleur candidat à l’attribution du Clou d’or pour la limite entre Pléistocène inférieur et Pléistocène moyen.

Du fait de l’excellente résolution de cette archive marine, les chercheurs ont également pu démontrer au cours de cette étude que la décroissance et le rétablissement de l’intensité du champ magnétique terrestre encadrant l’inversion ne se sont pas produits de manière régulière mais par paliers, sous la forme d’une succession d’épisodes rapides. Ce résultat représente de nouvelles contraintes utiles pour les modèles de géodynamo devant permettre d’anticiper le comportement futur du champ magnétique terrestre.

Ces travaux ont été financés en partie dans le cadre de l’ERC Edifice piloté par l’IPGP et du projet INTERMED du programme LEFE du CNRS/INSU (2014). Les mesures des concentrations du 10Be dans les échantillons de sédiments ont été réalisées à l’aide du spectromètre de masse par accélération ASTER, qui est un instrument national (CNRS/INSU, IRD, ANR EQUIPEX).

Sources

Simon, Q., Bourlès, D.L., Bassinot, F., Nomade, S., Marino, M., Ciranfi, N., Girone, A., Maiorano, P., Choy, S., Dewilde, F., Scao, V., ASTER Team. Authigenic 10Be/9Be ratio signature of the Matuyama-Brunhes boundary in the Montalbano Jonico marine succession. Earth and Planetary Science Letters, doi:10.1016/j.epsl.2016.11.052.

Contact

Quentin Simon
CEREGE/PYTHÉAS
Sébastien Nomade
LSCE/IPSL