Hommage à Jacques Blamont
Jacques Blamont , géophysicien et astrophysicien est mort le lundi 13 avril à Châtillon (Hauts-de-Seine ) dans sa 94 année. Il était resté très actif jusqu’à la fin de sa vie et avait gardé intact sa grande intelligence et son infaillible mémoire. Doué à la fois pour les sciences et pour les lettres (il avait même hésité lorsqu’il était à l’ENS entre la section scientifique et la section littéraire), il a utilisé ses derniers mois à écrire de la Littérature alors qu’il avait consacré à la Science tout le reste de sa vie.
Élève d’Alfred Kastler dont il a toute sa vie reconnu l’influence, et après avoir même poursuivi les travaux de son maitre à l’Observatoire de Haute Provence, il a opté très tôt pour la recherche spatiale et il fut l’un des pères de l’Espace en France. Après avoir créé son laboratoire, le Service d’Aéronomie, en 1958, laboratoire propre du CNRS et premier laboratoire spatial français, dont il resta directeur jusqu’en 1985, il assure la responsabilité de la contribution française à l’Année Géophysique Internationale et dans ce cadre lance des fusées Véronique au Sahara en Mars 1959. Le grand succès obtenu grâce à ces tirs le propulse au plus haut niveau de l’État pour proposer au général De Gaulle la création d’une Agence spatiale française. Ce fut le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) créé en 1961 et dont il fut le premier directeur scientifique et technique avant de jouer le rôle de conseiller des directeurs successifs, rôle qu’il a gardé jusqu’à la fin de sa vie.
Entre temps il avait été nommé professeur à la faculté des sciences de Paris en 1957 où il continua à enseigner jusqu’à la retraite, malgré ses nombreuses activités par ailleurs. Il a toujours dit que l’enseignement et le contact avec les étudiants lui apportaient un enrichissement et une très grande satisfaction.
En 1972 il est élu correspondant de l’Académie des sciences et membre en 1979. Il y fut très actif et a par exemple créé et maintenu actif le Comité de la recherche spatiale.
Sa contribution à l’aéronomie
Dès la première expérience en Mars 1959, il a laissé sa marque dans cette discipline puisque ce premier tir lui a permis de découvrir la turbopause, cette région située vers 90 km ou le déferlement des ondes de gravité crée une couche turbulente avant de rencontrer une zone plus calme où règne la diffusion moléculaire. Les débuts de la vie de son laboratoire a beaucoup contribué à la connaissance de la dynamique de la haute atmosphère d’abord avec les nuages de sodium et ensuite avec les lidars (sondages de l’atmosphère par laser) dont il avait eu l’idée. Parallèlement aux développements d’expériences optiques à partir du sol, Jacques Blamont a permis le développement en France des ballons stratosphériques permettant d’échapper à l’absorption d’une partie du rayonnement UV Solaire et qui ont permis d’obtenir un grand nombre de résultats tant sur la chimie de l’atmosphère (c’était l’époque critique du trou d’ozone) qu’en astrophysique.
Très vite les satellites sont venus compléter ce qui ne pouvait être obtenu à partir du sol et des ballons et grâce à une coopération avec à la fois les États-Unis (dès 1960) et l’URSS (dès 1966), ses idées nombreuses et originales ont contribué à équiper les satellites français, américains et russes et à développer ainsi nos connaissances sur les atmosphères des autres planètes. Ce fut d’ailleurs une des réussites à mettre à l’actif de Jacques Blamont que de réussir en pleine guerre froide à collaborer a la fois avec les russes et les américains sans que cela ne génère de conflit.
Sa contribution à l’astrophysique
L’astrophysique de la seconde moitié du XXème siècle a été totalement transformée par les observations depuis l’espace, dans toutes les longueurs d’onde de la lumière. La France et l’Europe se sont ainsi retrouvées en première ligne mondiale. Le choix fait, dès le début des années 1960 sous l’impulsion de Blamont, de développer la recherche spatiale fondamentale au sein de laboratoires propres du CNRS ou associés à l’université, avec des personnels techniques spécifiques, fut une décision majeure dont l’astrophysique en Île-de-France, à Marseille, Toulouse et Strasbourg notamment, bénéficia de façon exceptionnelle et durable.
Blamont engagea plus spécifiquement son laboratoire vers le système solaire (Soleil et Vénus en particulier), et l’étude des interactions avec le milieu interstellaire, où fut découvert le vent d’hydrogène auquel est soumis le milieu interplanétaire.
Ses inquiétudes sur le sort de la planète
À partir des années 2000, son intérêt pour les problèmes qui menacent l’humanité a pris une place de plus en plus importante. Il les a décrits avec beaucoup de perspicacité dans « Introduction au siècle des menaces » publié en 2004. Il décrit son inquiétude devant ce qui nous menace : le risque d’épidémie (la couverture du livre représente un coronavirus), les risques dus au changement climatique et surtout l’influence de l’informatique avec ses bons et mauvais aspects, notamment la cyberwar et le rôle des réseaux sociaux. Il a suivi de très près ces développements comme on peut le constater dans son livre « Réseaux ! Le pari de l’intelligence collective » publié en 2018. Mais il a aussi eu l’idée d’utiliser les bienfaits possibles de ces développements, notamment par la création de la plateforme Fédération du CNES qui utilise tous ces fablabs et autres réseaux pour le bien de l’humanité.
Il a aussi développé une conscience aiguë du rôle que pouvait jouer l’éducation des jeunes pour sauver la société : par exemple le remarquable combat qu’il a mené en Haïti, après la terrible catastrophe du tremblement de terre de 2010, pour maintenir une continuité dans l'éducation des populations les plus fragiles. Le programme TEH (Transformation de l'Enseignement en Haiti) qu'il avait initié avec l'aide du CNES est devenu une des composantes importantes de l'action internationale en Haïti. La création de la Maison pour la science en Guyane, avec le soutien du CNES et du Centre Spatial Guyanais, aura été aussi une initiative que Jacques Blamont, avec sa remarquable énergie, a suscitée. Cette maison offre aux professeurs des écoles et des collèges des régions les plus démunies de Guyane des formations attrayantes au contact des scientifiques. Jusqu’à la fin de sa vie, avec passion et obstination, Jacques Blamont aura été un acteur de cette éducation scientifique pour tous.
Marie-Lise Chanin
Directrice de recherche Emérite au CNRS