Épisodes méditerranéens : comment les prévoir et les prévenir ?
Le 19 septembre, les départements du Gard et de l’Hérault ont connu d’importantes inondations qui ont affecté plusieurs villages et fait deux morts. Plus de 600 mm d'eau, soit l’équivalent d’un an de pluie à Paris, sont tombés en 24 heures à Valleraugue dans le Gard, transformant, en quelques dizaines de minutes, la rivière en torrent qui a tout emporté sur son passage. Deux semaines plus tard, un autre épisode a touché les Alpes-Maritimes avec près de 500 mm de pluie dans l’arrière-pays niçois, faisant plusieurs morts et des dégâts très importants. Le fait que les bassins versants touchés soient montagneux, avec de fortes pentes, a favorisé la montée très rapide des eaux. La survenue de deux épisodes d’une telle ampleur dans une période si courte est exceptionnelle. On estime en effet que de tels cumuls de précipitations ont une période de retour centennale, c’est-à-dire qu’ils se produisent en moyenne une fois tous les cent ans. Appelés épisodes méditerranéens, ces évènements ont lieu tous les ans en France mais restent assez difficiles à prévoir. Il existe néanmoins de nombreux plans et outils permettant de prévenir le risque qu'ils font courir aux villes et à leurs habitants.
Les conditions de formation des épisodes méditerranéens
Les épisodes méditerranéens combinent fortes pluies et crues éclair et surviennent régulièrement en automne dans la région méditerranéenne française. Ils sont qualifiés d’épisodes cévenols quand ils touchent la région des Cévennes. Comment se déclenchent-ils ? À la fin de l’été, des vents du Sud/Sud-Est remontent vers la France et, la Méditerranée étant encore chaude, ils soulèvent sur leur passage une masse d’air chaud et humide. Il y a ensuite deux scénarios possibles qui, tous deux, conduisent à d’intenses précipitations. Soit cette masse d’air est tellement instable qu’elle forme un système orageux qui peut précipiter dès le littoral. Soit, lorsqu’elle atteint les reliefs montagneux de la région, elle se refroidit, entraînant la condensation d’une part importante de la vapeur d’eau qu’elle contient et provoquant de fortes pluies. Des études récentes, dans le cadre du programme HYMEX, ont montré que l’intensité des épisodes méditerranéens est en augmentation ces dernières décennies à cause de la hausse des températures.
Des évènements compliqués à prévoir
Pour le moment, les systèmes de prévision météorologique, tels que le modèle AROME de Météo France, ne permettent d’anticiper leur déclenchement que 2 ou 3 jours à l’avance au mieux car une modification même légère de la trajectoire des vents peut déplacer la zone où ces épisodes peuvent avoir lieu.
La prévision des crues est encore plus complexe car chaque bassin réagit différemment en fonction de sa pente, du type de couverture végétale, de la nature de son sous-sol, de la présence ou non de zones urbanisées et des conditions d’humidité du sol. Les sols saturés en eau, ou ceux qui ont une faible capacité d’infiltration comme en milieu urbain, ne sont pas en mesure d’absorber la pluie en excès, ce qui induit un ruissellement de surface important et donc potentiellement des inondations en aval. Mais lors de très fortes précipitations, même les sols secs ne peuvent pas stocker toute l’eau si l’intensité des pluies dépasse la capacité d’infiltration du sol. Par ailleurs, le stockage en eau du sous-sol, notamment dans les aquifères karstiques très présents en zone Méditerranéenne (voir encadré), peut aussi fortement moduler la réponse d’un cours d’eau. En effet, si les réservoirs souterrains sont vides car il n’a pas plu depuis longtemps ou que l’eau a été prélevée durant l’été pour alimenter les populations en eau potable ou pour l’irrigation, ils peuvent réduire fortement les écoulements. Dans le cas contraire, ils ont tendance à aggraver la crue. À l’échelle nationale, le service Vigicrue fournit en temps réel le niveau de nombreux cours d’eau et le système AIGA permet d’émettre des alertes de crues sur les petits bassins, mais tous les cours d’eau ne disposent pas encore de stations de mesure du niveau d’eau qui permettent d’alerter en cas de crue.
Les différents aspects de la prévention
Afin de mieux prévenir les risques hydrologiques liés aux épisodes méditerranéens, la recherche se focalise sur deux axes principaux. Premièrement, la compréhension des mécanismes atmosphériques afin d’améliorer les modèles de prévision météo et ainsi prédire avec le plus d’avance possible leur intensité et leur localisation. Deuxièmement, la compréhension et la quantification, à l’échelle des bassins versants, des flux d’eau dans les sols et les aquifères pour différents types de sols, d’occupation des terres et de pratiques agricoles. L’objectif est d’identifier, tant en milieu urbain que rural, les zones à risque, c’est-à-dire les secteurs qui seront les plus touchés par les inondations. L’identification et la cartographie de ces zones contribue à une meilleure connaissance des vulnérabilités territoriales et permet de déployer des moyens d’actions spécifiques en cas de crise.
Autre dimension de la prévention : une vigilance continue sur le volet infrastructures. Déjà, en renforçant ou en redimensionnant les infrastructures privées (habitations) et publiques (voies de circulation, ponts…) afin qu’elles soient moins vulnérables. Ensuite, en révisant les normes hydrologiques, qui concernent par exemple le dimensionnement des ponts, pour tenir compte de l’évolution des évènements extrêmes du fait du changement climatique et des caractéristiques, comme l’urbanisation, des bassins. Enfin, en respectant les normes d’urbanisme – qui limitent ou interdisent la construction à certains endroits, ou encore proposent des mesures de compensation pour réduire le ruissellement – et en préservant des espaces qui permettent à l’eau de s’infiltrer dans la terre.
La prévention passe aussi par la sensibilisation de la population, avant la saison des épisodes méditerranéens et au début de celle-ci. Outre la connaissance des consignes de sécurité, comme éviter de prendre sa voiture, l’élaboration d’un kit de sécurité peut permettre d’être mieux préparé.
Les outils pour gérer la crise en temps réel
Une fois l’épisode commencé, les autorités peuvent notamment compter sur des services d’aide à la décision, tel que Predict qui veille sur le territoire 24h/24 et contribue à la mise en œuvre des Plans Communaux de Sauvegarde (PCS), ainsi que sur les radars météorologiques qui fournissent des données en temps réel. Les radars envoient des ondes sur un rayon de 100 km et, en fonction des échos renvoyés par les gouttes de pluie, ils en déduisent la position, l'intensité et le déplacement des précipitations. L'ensemble des données recueillies et traitées par le réseau de radars Aramis de Météo-France est disponible 24h/24 et renouvelé toutes les cinq minutes sur l'ensemble du territoire. L'imagerie radar apporte aussi des informations indispensables aux services de prévision des crues puisqu'elle fournit une estimation des cumuls de précipitations dont la fiabilité s’améliore d’année en année.
Grâce aux travaux de recherche en cours, il devient possible de coupler les modèles hydrologiques et météorologiques afin d’anticiper un épisode de crue en temps réel et donc d’informer les autorités et la population, par SMS par exemple. Une meilleure localisation géographique de ces épisodes permettrait d’alerter de manière encore plus ciblée les zones à risque et ainsi d’éviter de fausses alertes dans les zones environnantes qui ne sont pas en danger.
Les services de l’INSU pour l’observation des épisodes méditerranéens
Structures labélisées par l’INSU, les services nationaux d’observation (SNO) ont pour objectif de documenter sur le long terme la formation, l'évolution et la variabilité des systèmes astronomiques et des milieux terrestres. Plusieurs d’entre eux étudient différents aspects des épisodes méditerranéens.
L’observatoire hydro-météorologique méditerranéen Cévennes-Vivarais (OHM-CV) étudie le cycle de l’eau en Méditerranée, avec un intérêt particulier pour l’évolution de la variabilité climatique et pour la genèse et la prévisibilité des événements intenses. Il s’appuie pour cela sur trois méthodes complémentaires :
- l’observation hydro-météorologique détaillée et durable sur un site pilote dans la région Cévennes-Vivarais ;
- la réalisation de retours d’expérience hydrologiques et socio-économiques sur les phénomènes extrêmes se produisant sur l’ensemble des régions méditerranéennes de l’Europe de l’Ouest ;
- l’étude des probabilités de pluies et débits extrêmes grâce aux archives historiques.
Le SNO du KARST s’appuie sur un réseau de neuf observatoires en France afin de renforcer le partage des connaissances et de promouvoir la recherche interdisciplinaire sur les systèmes karstiques. Les karsts sont des structures géomorphologiques résultant de l’érosion des roches solubles (essentiellement des calcaires). Ils présentent pour la plupart un paysage tourmenté, un réseau de rivières et de nappes d’eau souterraines et un sous-sol creusé de nombreuses cavités. L’arc méditerranéen est l’une des zones les plus karstiques de France.
Observil est un réseau de 11 observatoires de recherche dont le cœur disciplinaire est centré sur les questions d’hydrologie urbaine. Une thématique cruciale pour les années à venir car l’accroissement de la population urbaine renforce l’empreinte écologique des villes sur les territoires et accroît conjointement l’exposition de leurs habitants aux impacts du changement climatique. Les projets mis en œuvre par Observil concernent notamment les bassins versants périurbains et les performances des ouvrages de gestion des eaux pluviales.
Marie Perez
Remerciements : Yves Tramblay, Patrick Lachassagne