Du fer réduit en conditions oxydantes dans le manteau terrestre

Résultat scientifique Terre Solide

Les oxydes de fer sont des constituants essentiels des intérieurs planétaires. D'après les modèles géochimiques actuels, la formation de ces oxydes est directement liée à l'activité de l’oxygène : une activité élevée favorisant la formation de fer ferrique (Fe3+), tandis qu’une activité faible induit la formation de fer à l'état ferreux (Fe2+), voire métallique (Fe0). Ce concept est aujourd’hui remis en question par une équipe franco-américaine de chercheurs, issus entre autre du Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, Sorbonne Université/CNRS/Muséum National d'Histoire Naturelle/IRD) : celle-ci a découvert au sein du manteau terrestre du fer réduit formé dans des conditions oxydantes (FeO2Hx). Les conséquences pour les cycles internes du carbone et de l’eau pourraient être majeures.

La réaction de matériel hydraté, soit avec le fer métallique contenu dans le manteau inférieur, soit avec le fer métallique du noyau, résulte en la formation d’une phase de structure pyrite, FeO2Hx, dans le manteau terrestre.

La phase de formule chimique FeO2Hx, où x est compris entre 0 et 1, résulte de la réaction entre du fer métallique avec de l’eau, ou de la transformation de la goethite (Fe3+OOH), sous des pressions et températures correspondant à ~1800 km de profondeur dans le manteau terrestre. Cette phase, récemment découverte, peut par exemple se former par transformation profonde de matériel subducté hydraté. En supposant que l'oxygène soit sous la forme d’ion oxyde O2−, ce qui est implicite dans tous les modèles géochimiques actuels, l’état de valence du fer dans FeO2Hx serait compris entre Fe3+ et Fe4+. Toutefois, plusieurs études récentes ont montré que la phase FeO2Hx cristallisait dans une structure pyrite. Par analogie structurale avec la pyrite (FeS2), dans laquelle Fe est essentiellement sous forme de Fe2+ et le soufre sous la forme de dimère S22-, FeO2Hx pourrait en fait être composé de cations Fe2+ et d’ion peroxydes O22−.

Au cours de cette étude, les chercheurs ont sondé l’état d’oxydation du fer lors de la transformation de Fe3+OOH en FeO2Hx, grâce à la spectroscopie d’absorption des rayons X in situ en cellule à enclumes de diamant chauffée par laser infrarouge. Pour comparaison, des mesures ont également été effectuées sur Fe2+O et Fe23+O3 dans les mêmes conditions de pression et température. Les mesures ont été effectuées au synchrotron de l’ESRF à Grenoble sur la ligne de lumière ID 24.

Les mesures spectroscopiques au seuil K du fer dans FeO2Hx, démontrent qu’au-delà de 1800 km de profondeur, du fer ferreux (Fe2+) peut être stabilisé pour des conditions riches en oxygène tel que dans FeO2Hx.

Dans la goethite Fe3+OOH, le matériau de départ, chauffée à 1600-1800 K sous pression modérée (64 GPa), soit hors du domaine de stabilité de FeO2Hx ; la position du seuil K d’absorption des rayons X du fer reste proche de celle dans Fe23+O3, confirmant la prédominance de Fe3+ dans la phase stable à ces conditions de pression et température (ϵ-FeOOH).

A plus haute pression (91 GPa), dans le domaine de stabilité de FeO2Hx, les analyses par spectroscopie montrent en revanche que la position du seuil K du fer est décalée de -3.3 eV, devenant proche de celle dans Fe2+O aux mêmes conditions. Une telle évolution indique la réduction du fer en Fe2+ lors de la transformation de FeOOH en FeO2Hx. Ce qui renforce l’intuition cristallochimique que l'oxygène est présent dans cette phase de structure pyrite sous forme d’anion peroxyde (O2-2) avec un degré d’oxydation de -1. Ce dernier point restera toutefois à vérifier par d’autres techniques.

Ces mesures spectroscopiques constituent donc des arguments forts pour un état de valence ferreux (Fe2+) du fer pour des compositions riches en oxygène (imposé par la goethite Fe3+OOH de départ) et ceci dans les conditions de pression et température du manteau inférieur de la Terre. Cette observation devra être prise en compte pour modéliser la fugacité de l’oxygène, c’est-à-dire l’état rédox, du manteau inférieur de la Terre. Les conséquences pour les cycles internes du carbone (formation de diamants ultra-profonds) et de l’eau (relarguage d’hydrogène dans le manteau inférieur) dans ce milieu extrême pourraient ainsi se révéler considérables.

Source

E. Boulard, M. Harmand, F. Guyot, G. Lelong, G. Morard, D. Cabaret, S. Boccato, A. D. Rosa, R. Briggs, S. Pascarelli, G. Fiquet. Ferrous Iron Under Oxygen‐Rich Conditions in the Deep Mantle Geophysical Research Letters (2019) doi: 10.1029/2019GL081922

Contact

Églantine Boulard
IMPMC