Disparition de Xavier Le Pichon (1937-2025)
Nous apprenons avec émotion le décès du professeur Xavier Le Pichon. Nous perdons avec lui un des grands noms des géosciences mondiales, à jamais associé à la découverte de la tectonique des plaques en 1968. Il fut un grand scientifique dans le domaine de la géodynamique, mais aussi un explorateur infatigable des océans du globe, un professeur inoubliable et un grand humaniste.
Xavier le Pichon soutient sa thèse en 1966 à Strasbourg sur la structure de la dorsale médio-atlantique. Présent au Lamont-Doherty Observatory (USA) dans l’équipe de Maurice Ewing à la fin des années soixante, à une époque où l’observation systématique du fond des océans mettait au jour les dorsales médio-océaniques, les fosses et ce qu’on appellerait bientôt les failles transformantes, où la dérive des continents et l’expansion des fonds océaniques avaient été prouvées par les paléomagnéticiens, il emboite le pas de Harry Hess, Fred Vine, Drummond Matthews, Tuzo Wilson, Dan McKenzie et Jason Morgan pour proposer le premier modèle quantitatif global décrivant les déplacements relatifs des principales plaques tectoniques et reconstruisant l’évolution de l’Atlantique depuis le Crétacé, dans un article fondateur au Journal of Geophysical Research en 1968. L’ouvrage qu’il publiera par la suite avec Jean Bonnin et Jean Francheteau, intitulé « Plate Tectonics », en 1973, reste comme une somme indépassable rapportant cette révolution scientifique majeure qui créa le cadre géodynamique dans lequel nous travaillons tous depuis.
De retour en France, il continuera à étudier les déplacements et les déformations de la lithosphère avec des avancées majeures sur les mécanismes du rifting, de la subduction et de la collision, sur le couplage sismique dans les zones de subduction et la prise de conscience de l’importance de la géodésie spatiale pour comprendre la déformation active des continents. Il jouera un rôle majeur dans la restructuration de l’océanographie française qui deviendra rapidement une des meilleures au monde. A partir de la création de l’ancêtre de l’IFREMER, à Brest, puis, comme professeur à l’Université Pierre et Marie Curie et à l’Ecole Normale Supérieure, il organisera un grand nombre de campagnes à la mer pour explorer plus avant les fonds océaniques, qui toutes produisirent des résultats importants. Pour ne citer que trois de ces projets organisés dans le cadre de coopérations internationales, on peut mentionner la Campagne FAMOUS, programme franco-américain, première exploration de la dorsale médio-atlantique en plongée à l’aide des submersibles CYANA et ALVIN, la campagne HEAT d’exploration des fossés Helléniques, première campagne de plongées dans une fosse de subduction, et les campagnes franco-japonaises Kaiko et Kaiko-Tokai, d’exploration des fosses autour du Japon, mêlant géophysique de surface et plongées à l’aide d’un nouveau sous-marin, le Nautile, descendant à -6000m. Son investissement constant dans l’étude des océans en fait un des grands explorateurs du XXème siècle. La place éminente de la France parmi les nations dans les domaines de la tectonique et de l’océanographie lui doit beaucoup.
Membre de l’Académie des Sciences, Xavier Le Pichon terminera sa carrière comme professeur au Collège de France où ses cours de géodynamique au fil des ans restent dans les mémoires. Bien avant cette consécration, il fut un professeur reconnu qui enthousiasma de nombreux étudiants de l’UPMC (actuellement Sorbonne Université) à la dynamique de la lithosphère et à l’étude des processus physiques qui s’y déroulent. Il fut également un patron brillant et exigeant, encourageant toujours ses élèves et collaborateurs à poursuivre leurs intuitions et leur fournissant les moyens de travailler et de se faire une place dans le milieu si compétitif de la recherche.
Ses travaux scientifiques furent récompensés par de très nombreux prix et médailles nationales et internationales dont la Médaille Wollaston de la Société Géologique de Londres, le Japan Prize et le Prix Balzan. Il a relaté ses expériences en mer dans plusieurs ouvrages dont « à 3000 m sous l’Atlantique » (Albin Michel) à propos de l’expédition FAMOUS, « Voyage aux extrémités de la mer » à propos du programme Kaiko, ainsi que des ouvrages plus philosophiques sur la mort, « Aux racines de l’homme : de la mort à l’amour » (Presses de la Renaissance) et « La mort » avec Tang Yi Jie (Desclée de Brouwer).
Il aura eu une action majeure sur les sciences de la Terre françaises. Ses élèves perpétuent son approche des domaines océaniques et bien d’autres équipes profitent des outils d’exploration qu’il a largement contribué à créer.
Le CNRS présente à ses proches et à ses collègues ses plus sincères condoléances et partage leur peine.
Cet hommage a été préparé par Laurent Jolivet et la direction de l'INSU.