Campagne BIOMASP+ : étude des interactions biosphère – pollution urbaine au Brésil
L’OMS a estimé à cinq millions les décès dus à la pollution atmosphérique dans le monde. Certaines villes, comme la mégapole de São Paulo, au Brésil, sont entourées de végétation et en même temps particulièrement exposées à la pollution. Quelles sont les interactions entre végétation d’une part et pollution urbaine de l’autre ?
C’est pour le comprendre que depuis le 20 mars 2023, cinq équipes de recherche françaises dont quatre du CNRS-INSU (voir encadré), en collaboration avec des équipes brésiliennesL’université de São Paulo et l’Institut de Botanique de São Paulo (IAG, Institut des Biosciensas, IFUSP) sont mobilisées sur le terrain, dans la mégapole de São Paulo dans le cadre du projet BIOMASP+BIOgenic emissions, chemistry and impacts in the Metropolitan Area of São Paulo.. Décryptage avec Agnès Borbon, chercheuse au Laboratoire de météorologie physique (LAMP) et responsable de la partie française de la campagne.
Qu’est-ce que le projet BIOMASP + ?
Agnès Borbon - C'est un projet multidisciplinaire, qui rassemble des météorologistes, des éco-physiologistes, des botanistes et des physico-chimistes de l’atmosphère. Financé par l’ANR1 et le FAPESP2 , le projet a comme objectif de comprendre comment les interactions biosphère-atmosphère influencent la pollution urbaine et, rétroactivement, comprendre les effets de l’exposition à la pollution sur l’état physiologique de la végétation et sur ses émissions.
Pourquoi avoir choisi São Paulo ?
A.B - La ville de São Paulo est très urbanisée, avec plus de 20 millions d’habitants et plus de 7 millions de véhicules fonctionnant principalement à l’éthanol. Autrement dit, la ville est très étalée et a une empreinte urbaine au sol importante. Il y a un contraste de l’environnement urbain avec des « poumons verts de végétation », au sein même de la métropole, caractérisés par la forêt Mata Atlantica avec des espèces endémiques mais aussi exotiques. C’est une forêt tropicale atlantique qui représente 30% du territoire de la métropole. En raison de cette configuration, les enjeux d’interactions entre la végétation et pollution urbaine sont intéressants à étudier. En effet, en réponse à un stress biotique3 ou abiotique4 , la végétation, émet des composés atmosphériques notamment des composés organiques volatils biogéniques mais aussi des aérosols. Le dérèglement climatique favorise d’autant plus les émissions de ces composés par les espèces végétales car elles sont très dépendantes de la température. Ce sont des composés très réactifs et connus pour être précurseurs de pollution secondaire comme l’ozone ou encore l’aérosol organique secondaire. Ces composés participent donc au phénomène de pollution urbaine. Dans ce contexte, la campagne s’intéresse à la question des émissions par la végétation et leur implication dans le phénomène de pollution urbaine en réponse au stress, dans un contexte de changement climatique. Cela forme un cercle vicieux : le stress des plantes induit de la pollution qui par la suite va stresser les plantes.
Par ailleurs, bien que la forêt de São Paulo soit considérée comme le 5ème « hot spot »5 de biodiversité à l’échelle du globe, les émissions de la forêt Mata Atlantica sont très mal connues, comparées à celles de la forêt amazonienne, dont l’écosystème est complétement différent. L’objectif est donc aussi de mieux quantifier les émissions de cette forêt et leur sensibilité au stress par rapport aux émissions urbaines, en ciblant des espèces dominantes grâce à une caractérisation détaillée du milieu forestier par des botanistes.
- 1France
- 2Etat de São Paulo, Brésil
- 3Stress résultant de l'action néfaste d'un être vivant sur un autre être vivant (actions humaines sur les plantes par exemple)
- 4Stress résultant d’un changement dans l’environnement (augmentation des températures, changement climatique…)
- 5Une zone possédant une grande biodiversité menacée par l'activité humaine.
Comment se déroule la campagne, avez-vous des premiers résultats ?
A.B - La campagne se déroule sur deux sites de mesures que l’on considère contrastés, chacun équipé de deux tours instrumentées et de véritables laboratoires de terrain. Le premier (USP-Matão) est situé au cœur de la métropole, sur le campus de l’université de São Paulo qui est une forêt urbaine en soi, mais avec une influence anthropique plus marquée. Le deuxième site (RMG) se situe dans la réserve de Morro Grande, 40 km au sud-ouest de la métropole et qui, cette fois, est au cœur de la forêt Mata Atlantica. Nos premiers résultats montrent clairement l’influence anthropique sur ce deuxième site.
Plusieurs mesures de terrain sont réalisées et dupliquées sur les deux sites (flux des émissions biogéniques, composition atmosphérique, potentiel de formation d’aérosol organique secondaire des masses d’air), ainsi que des mesures de laboratoire (facteurs d’émission biogénique, potentiel oxydant des particules, potentiel de formation d’aérosol organique secondaire des émissions) et de la modélisation chimique 0D et de chimie-transport.
Focus sur le dispositif instrumental
Les deux sites de mesures disposent du même dispositif instrumental à savoir :
- Des analyseurs pour la surveillance de la qualité de l’air (oxydes d’azote, monoxyde de carbone, ozone) et des gaz à effet de serre dont le dioxyde de carbone, des chromatographes et des spectromètres de masse pour une mesure rapide et en temps quasi-réel de la composition organique des différentes phases atmosphériques gazeuse et particulaire, des compteurs de particules (nombre et granulométrie). S’ajoutent des prélèvements sur filtre pour des analyses de la composition chimique particulaire sur le long terme qui permettront de détecter des marqueurs pour différencier l’origine des émissions (biogénique ou anthropique). Cet ensemble d’instruments permet d’analyser de façon très complète la composition atmosphérique à la fois pour les gaz et les particules avec un éclairage sur la matière organique.
- Deux tours instrumentées de 20 et 30 m avec des capteurs micro météorologiques (vitesse, direction du vent, humidité relative, rayonnement, température et rayonnement photosynthétique). En plus de la température, ce dernier influencera l'activité du métabolisme primaire des plantes et la production de composés organiques volatils qui en dépend. Les tours permettent des mesures très rapides en dessous de la seconde pour quantifier les flux turbulents. Elles permettront aux scientifiques de faire des mesures dans la canopée mais aussi au-dessus de la canopée pour quantifier l’export net des émissions biogéniques dans l’atmosphère.
- Le PAM est un réacteur photochimique qui permet d’accélérer artificiellement les processus chimiques d’oxydation qui se déroulent dans l’atmosphère. Il permet donc d’évaluer la réactivité du mélange atmosphérique c’est-à-dire sa capacité à former des polluants secondaires comme l’aérosol organique secondaire. Déployé d’abord au cœur de la forêt Mata Atlantica, il permet d’évaluer la réactivité du mélange des masses d’air biogéniques sous influence anthropique en fonction de l’heure de la journée. Déployé ensuite en sortie de chambres d’émission biogénique à l’Institut de Botanique de São Paulo, il permet d’évaluer directement la réactivité des émissions biogéniques de différentes espèces végétales.
Les deux sites ont également fait et feront l’objet de collectes et de caractérisations des espèces végétales et des espèces dominantes, ainsi que de collectes de branches pour analyser leur réponse en cas de stress dans un environnement contrôlé.
La plupart des mesures sont obtenues en temps réel et elles sont en très grand nombre : les scientifiques obtiennent des données brutes dont ils s’assurent de la cohérence grâce à des premières visualisations de la variabilité temporelle sur le terrain (quicklook). Il restera encore à mener un travail approfondi de validation et de quantification des différentes variables de retour au laboratoire, en prenant notamment en compte les étalonnages réalisés sur le terrain. Assurer la qualité des données est nécessaire pour une étude robuste. Cela fera partie du travail des six doctorants et sept postdoctorants travaillant sur le projet de part et d’autre de l’Atlantique.
Les premiers résultats montrent des périodes contrastées avec différents niveaux de pollution selon la situation météorologique rencontrée. Par exemple, l’ozone, dans une période chaude, ensoleillée et des vitesses de vent faibles, a atteint un maximal de 100 de ppb (partie par milliard) en début de campagne, donc bien au-dessus des normes de qualité de l’air. A l’inverse, dans une période plus froide, humide et ventée, l’ozone t a diminué avec des niveaux en dessous de 40 ppb (période du 9 au 14 mai).
Quelles sont les risques et les conséquences de tels événements de pollution, comme le maximal atteint par l’ozone ?
A.B - La pollution urbaine a un impact sanitaire. L’OMS indique cinq millions de décès dus à la pollution atmosphérique dans le monde. Avec 20 millions d’habitants et plus de 7 millions de véhicules, São Paulo est très exposé ; la campagne va permettre d’expliquer en quoi les émissions par la végétation et la pollution d’origine anthropique participent à cette pollution à l’ozone et aux particules. Malgré les restrictions des émissions de oxydes d’azote à l’échappement des véhicules avec l’utilisation de biocarburants par exemple, l’ozone ne diminue pas à São Paulo, voire a tendance à augmenter en fonction des stations de mesure. Les modèles arrivent à reproduire le cycle de l’ozone mais pas à reproduire l’intensité des pics de concentration. La question du rôle des émissions biogéniques dans la difficulté des modèles à reproduire l’intensité des pics reste entière pour l’instant.
Est-ce que la situation de São Paulo est comparable à celle d’autres grandes mégapoles ?
A.B – La question du rôle des émissions biogéniques ne se posent pas seulement pour São Paulo et les premières études sur le sujet avaient commencé aux Etats Unis à Atlanta dans les années 90. Le rapprochement entre BIOMASP+ et le projet Paname à Paris peut être intéressant à faire et sera riche d’enseignement même s’il ne s’agit ni de la même végétation, ni du même parc roulant, ni des mêmes conditions climatiques. Très probablement, l’importance du rôle de la végétation sera différente selon notamment sa réponse au stress urbain. Cependant on peut supposer des similitudes dans la nature des processus d’interaction même si le cocktail diffère. Mais, pour une telle comparaison, il faudra étudier les différents contextes.
Pour l’heure, les scientifiques des deux pays sont en train d’analyser les données recueillies. Les mesures micrométéorologiques des tours s’effectuent en continue et la quantification des émissions de la végétation en saison sèche se poursuit. Enfin, les équipes de recherches travailleront ensuite sur la partie modélisation du projet, pour améliorer les prévisions concernant la pollution urbaine. Les premières simulations avec les modèles de chimie-transport WRF-Chem couplé au modèle d’émission MEGAN ont commencé au LaMP grâce à l’obtention d’une bourse MOPGA d’un chercheur brésilien en 2023.
Propos recueillis par Julie Amblard.
Laboratoires impliqués
Laboratoires CNRS impliqués :
- Laboratoire de météorologie physique (LaMP - OPGC)
Tutelles : CNRS / UCA
- Institut des géosciences de l'environnement (IGE - OSUG)
Tutelles : CNRS / INRAE / IRD / UGA
- Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE - OVSQ)
Tutelles : CEA / CNRS / UVSQ
- Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE - OREME)
Tutelles : CNRS / EPHE - PSL / IRD / UNIV MONTPELLIER
Autres laboratoires impliqués :
- L'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)
- Centre d’Enseignement, de Recherche et d’Innovation Energie Environnement (CERI EE) - IMT Nord Europe