Arctique : étudier les échanges glace/atmosphère pour mieux comprendre la vitesse de fonte de la banquise
Avec le changement climatique, la température de l’ensemble du globe augmente, mais ce sont les régions polaires qui se réchauffent le plus vite. Résultat : la banquise fond et les impacts vont largement dépasser les frontières des pôles. Mais à quel rythme va disparaitre la banquise ? Difficile de le savoir précisément.
Pour avancer sur cette question, le projet ASET (Atmosphere Sea ice Exchanges and Teleconnections) analyse des données de campagnes d’observation en Arctique pour tenter de mieux comprendre et prédire les échanges de chaleur entre la glace de mer et l’atmosphère. Ce projet est financé dans le cadre de l’appel Make Our Planet Great Again du Programme d’investissements d’avenir. Virginie Guemas, responsable du projet et chercheuse au Centre national de recherches météorologiques (CNRM*), nous explique le contexte et les objectifs d’ASET.
Quel est le contexte du projet ?
L’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que le reste de la Terre, selon le rapport du Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique paru en mai 2021, ce qui induit une fonte de plus en plus sévère de la banquise. Toutes les projections indiquent une poursuivent de cette tendance pour les prochaines décennies, pouvant aller jusqu'à sa disparition complète en été. Ce phénomène aura de graves conséquences, non seulement pour la population et la faune locales, mais aussi pour le reste du globe, d’où l’urgence de mieux le comprendre. Il est cependant très compliqué de savoir à quelle vitesse fond la banquise car on a encore du mal à avoir une estimation fiable de son bilan d'énergie. On manque de données car, comme il s’agit d’un milieu hostile, il y a eu peu de campagnes d’observation. Les premières campagnes ont réalisé des relevés à partir des bords de glace mais cela restait trop vague car on ne pouvait, par exemple, pas savoir s’il y avait des trous d’eau à certains endroits de la banquise. Depuis 40 ans, les satellites permettent de connaître l’évolution de l’étendue de la banquise, mais pour étudier les échanges de chaleur, il faut se rendre sur place et faire des relevés. En 1997, la campagne Sheba, et en 2019-2020, la campagne Mosaic, qui ont toutes deux duré un an, ont beaucoup fait progresser notre connaissance de cette région. Mosaic a été lancée dans le cadre de l’« Année de la prévision polaire » (YOPP), qui, ayant été prolongée, a duré de 2017 et 2020. Elle a permis de récolter une grande quantité de données en région polaire. Afin d’optimiser les mesures sur place, des modélisateurs avaient évalué, en amont, les données nécessaires pour compléter les modèles actuels d’évolution de la banquise. Pour cela, ils avaient introduit des observations synthétiques (c’est-à-dire fictives) dans les modèles et ont testé les résultats obtenus.
Quels sont les objectifs d’ASET ?
Il y a différents échanges qui entrent en jeu dans le bilan de chaleur, ASET se concentre sur les échanges entre la glace de mer et l’atmosphère. Il s’agit de flux de chaleur turbulents liés aux vents de surface. Pour ce faire, nous exploitons les observations des multiples projets de YOPP et des campagnes antérieures. La première étape consiste à récupérer toutes ces données et à les agréger en une base de données unique.
Il existe, à l’heure actuelle, une théorie dominante pour représenter les flux de chaleur turbulents dans les modèles météo et de climat, appelée Monin-Obukhov. Elle a été établie pour l’ensemble du globe et, pour chaque région, des paramètres correctifs s’appliquent. Mais, dans la pratique, ses conditions d’applicabilité ne sont pas tout à fait vérifiées en région polaire du fait d'une turbulence qui ne cadre pas avec les hypothèses de base. Nous allons donc, dans un premier temps, nous affranchir de la théorie Monin-Obukhov et tenter d’extraire de nouvelles relations statistiques de notre base de données pour décrire les flux glace/atmosphère. Puis, nous nous attèlerons à raffiner les estimations faites dans le cadre de la théorie Monin-Obukhov grâce aux nouvelles données. Cela permettra, enfin, de comparer les résultats obtenus dans les deux cas pour voir lesquels collent le mieux aux observations. L’objectif est que nos travaux soient, à terme, intégrés dans le modèle de climat CNRM-CM afin de mieux comprendre et prévoir l’impact du changement climatique en Arctique et ses répercussions plus globales.
Anticipez-vous des difficultés ?
Nous avons du mal à accéder aux données de certains projets mais nous en avons toutefois déjà collecté énormément, dont certaines qui n’étaient pas prévues initialement, donc je ne suis pas inquiète pour la robustesse de la base de données. Une fois les analyses démarrées, il se peut que l’on note des incohérences entre deux jeux de données, dont les causes peuvent être multiples, et qu’il nous faille attendre les données de futures campagnes pour pouvoir statuer. De façon générale, la tâche est compliquée puisque nous avons affaire à des phénomènes non-linéaires et donc très imprévisibles. Cela signifie que les méthodes statistiques, comme le machine learning, ne seront pas forcément les plus appropriées. Dans tous les cas, nos travaux feront progresser nos connaissances sur le changement climatique en Arctique !
Propos recueillis par Marie Perez
* Le CNRM est une unité de recherche de Météo-France et du CNRS