De l’eau liquide sur Mars il y a moins de 227 millions d’années

Résultat scientifique Terre Solide

Deux chercheurs du Laboratoire magmas et volcans (LMV, Université Clermont-Auvergne / CNRS / IRD / Université Jean Monnet) et du Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG / Université de Lorraine / CNRS) ont identifié des traces d’altération aqueuse tardive dans la météorite martienne Black Beauty (NWA 7533/7034 et paires). Cette altération, enregistrée par le minéral zircon (ZrSiO4), se serait produite sur Mars, il y a entre 227 et 56 millions d’années, durant l’ère Amazonienne. Cette découverte publiée dans la revue Nature Communications a des implications très fortes pour l’évolution de la surface Martienne car elle montre que de l’eau liquide a été disponible à proximité de la surface dans un passé relativement proche et que, par conséquent, cela pourrait encore être le cas de nos jours. Ces résultats suggèrent que la planète Mars aurait pu être habitable sur presque toute son histoire puisque l’eau est le premier ingrédient nécessaire à l’émergence de la vie. 

La présence d’eau liquide sur Mars est avérée par de nombreuses observations telles que la présence de minéraux hydratés et d’anciens systèmes de vallées et de chenaux, malgré des conditions de pression et température de surface largement défavorables. Cependant, l’activité hydrologique de Mars est supposée être restreinte au premier milliard et demi d’années d’évolution de cette planète, donc jusqu’à il y environ 3 milliards d’années. Mars aurait ensuite connu un épisode de changement climatique global, menant aux conditions froides et sèches qu’on lui connait actuellement. Afin de mieux comprendre l’évolution de la surface Martienne et de son habitabilité - qui est l’une des principales questions des programmes d’exploration spatiale actuels, il est essentiel de documenter l’histoire de l’eau sur Mars.

De récents travaux ont mis en évidence le fait que des cristaux de zircon (ZrSiO4) dans des météorites martiennes avaient été altérés par l’eau et que cette altération datait de 1,5 à 1,7 milliard d’années. Le zircon est un minéral extrêmement robuste à la plupart des processus géologiques. Sa formation peut être précisément datée grâce au système isotopique U-Pb et représente donc une archive temporelle très fiable. Cependant les isotopes radioactifs (U et Th) qu’il contient sont aussi son talon d’Achille puisqu’ils endommagent son réseau cristallin.

Ce dernier peut dans certains cas se régénérer, mais dans d’autres cas se détériorer jusqu’à rendre le zircon poreux aux fluides ce que l’on peut déduire en examinant sa texture interne à l’aide de microscope électronique à balayage (voir figure jointe). C’est précisément ce qui est arrivé à certains cristaux de zircon hadéens de Jack Hills (Australie). Dans ces cristaux, le rapport Th/U mesuré est bien supérieur à celui intégré dans le temps, c’est à dire déduit des isotopes du Pb (206Pb et 208Pb) qui sont les produits de désintégration de l’U et du Th. Le découplage visible dans certains zircons de Jack Hills (Th/U mesuré > Th/U intégré) ne peut pas être provoqué par des processus connus autre que de l’altération aqueuse de basse température. Les deux chercheurs du LMV et du CRPG ont donc utilisé ces différences comme traceur d’altération aqueuse hors de la Terre.

Les données publiées sur des zircons lunaires n’indiquent aucune trace d’altération aqueuse de basse température. Cependant, les résultats pour des zircons martiens issus de météorites Black Beauty (NWA 7533 et 7034) montrent qu’une partie des données disponibles présente le même découplage des rapports Th/U mesurés et intégrés que les zircons terrestres de Jack Hills.

Image MEB par électrons rétrodiffusés d’un zircon terrestre ayant subit de l’altération semblable à celle ayant affecté les zircons martiens de Black Beauty. Les zones altérées se présentent sous forme de veines ou de tâches gris sombre alors que les zones non-altérées sont de teinte gris clair. Une zonation concentrique primaire (magmatique) se devine dans certaines zones claires, et est marquée par des bandes de croissance qui présentent des fractures disposées de façon radiale.

Ce résultat suggère donc qu’une altération par des fluides aqueux de basse température s’est produite sur Mars. La modélisation de l’évolution des systèmes U-Th-Pb dans le zircon a permis aux chercheurs de montrer qu’un épisode d’altération avait effectivement eu lieu entre 1,7 et 1,5 milliard d’années mais que les forts découplages entre rapports Th/U mesurés et intégrés dans le temps étaient liés à un épisode d’altération beaucoup plus récent, estimé (grâce au modèle) entre 227 et 56 millions d’années. Cet épisode intervient donc à l’Amazonien tardif qui est une période généralement considérée comme froide et sèche pour Mars.

Ces résultats sont très importants car ils démontrent que, dans un passé proche, Mars avait encore de l’eau liquide disponible à sa surface ou sub-surface et ceci pendant suffisamment longtemps et en quantité suffisante pour altérer des minéraux tels que les zircons. L’origine de cette eau reste encore floue mais elle aurait pu être libérée par la fonte locale de la cryosphère martienne sous l’effet d’un impact météoritique ou d’une activité magmatique récente.

La découverte d’eau liquide dans un passé proche de Mars implique que cette planète a pu avoir une hydrosphère durant quasiment toute son histoire, même localement, et que c’est peut-être encore le cas de nos jours. L’eau liquide étant liée à la vie terrestre, les conclusions de cet article permettent de supposer que Mars a peut-être possédé le premier ingrédient nécessaire à l’émergence de la vie durant toute son histoire.

Source

M. Guitreau, J. Flahaut. Record of low-temperature aqueous alteration of Martian zircon during the late Amazonian. Nature Communications (2019) doi: 10.1038/s41467-019-10382-y

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