À la découverte de Vénus l’oubliée
Depuis la mission Magellan en 1989, seules deux missions ont mis le cap vers Vénus, alors qu’on ne compte plus le nombre de sondes qui sont allées visiter Mars. Il faut dire que notre voisine n’est pas très accueillante : on y trouve une épaisse couche nuageuse soufrée et une température de surface de 470°C ! Pourtant, par sa taille et sa masse, elle est très similaire à la Terre, ce qui vaut parfois aux deux planètes d’être appelées jumelles. Alors pourquoi ont-elles évolué de façons si différentes ? Trois missions spatiales viennent d’être sélectionnées par l’ESA et la NASA pour tenter d’en savoir plus.
La première planète explorée
Vénus a été la première planète que les hommes ont cherché à explorer. En 1961, les Russes lancent la sonde Venera 1, mais elle perd contact avec la Terre avant d’atteindre son objectif. En 1962, la NASA lance Mariner 2 qui survole Vénus avec succès, après l’échec de Mariner 1 un mois plus tôt. Dans les années 1950, les scientifiques imaginent Vénus comme étant plus chaude que la Terre, mais habitable. C’est donc une très grande surprise quand Mariner 2 découvre une température moyenne au sol de 470°C et une couche nuageuse dense de 25 km d’épaisseur. Même s'il avait mal commencé, programme Venera se poursuit avec réussite jusqu’en 1985 : les premières données in situ sur l'atmosphère vénusienne sont renvoyées par la mission Venera 4 en 1967, Venera 7 réussit à se poser intacte sur le sol malgré la pression écrasante de 93 atmosphères terrestres et Venera 8 fournit les premières données depuis le sol. L’ensemble des missions révèle une planète très inhospitalière.
Au l'inverse de celles de Vénus, les images de la surface martienne prises lors du premier atterrissage sur la planète rouge en 1976, fascinent le monde entier. Et si elle abritait des formes de vie ? Sans compter qu’il est beaucoup plus simple de se poser sur Mars que sur Vénus. Les missions spatiales se réorientent alors vers la recherche de la vie et de l’eau dans le Système solaire et Vénus est délaissée au profit de Mars.
Il y a actuellement huit orbiteurs autour de Mars et quatre rovers à sa surface, alors qu’il n’y a qu’un orbiteur qui étudie Vénus : la sonde Akatsuki de la JAXA, l’agence spatiale japonaise. « Aujourd’hui, notre connaissance de la surface de Vénus est au même stade que celle que nous avions de Mars dans les années 1970 », souligne Emmanuel Marcq, chercheur au laboratoire atmosphères et observations spatiales (LATMOS) et principal investigator de l’instrument VenSpec-U de la mission EnVision. « Ce sont l'abandon de l'exploration in situ de Vénus depuis 35 ans, mais aussi l'émergence de nouvelles questions scientifiques telles l'évolution de l'habitabilité d'une planète terrestre, et le retour d'expérience de l'exploration des surfaces planétaires à toute échelle, qui ont relancé l'intérêt de l'ESA et de la NASA pour cette planète », ajoute Thomas Widemann, chercheur au laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique (LESIA) et et Deputy Lead Scientistd’EnVision. En effet, Vénus revient enfin sur le devant la scène avec l’acception de trois missions à l’horizon 2030, deux par la NASA : Davinci et Veritas, et une par l’ESA : EnVision.
La jumelle infernale
Vénus et la Terre ont des tailles et des masses similaires, c’est pourquoi elles sont parfois qualifiées de jumelles. 12 742 km de diamètre pour la Terre, 12 104 pour Vénus. Une masse de 5,97.1021 tonnes pour la Terre, 4,8.1021 tonnes pour Vénus. Vénus est également la planète la plus proche de nous, à environ 40 millions de kilomètres au plus près. Mais alors pourquoi ces deux planètes sont-elles si différentes ? Que s’est-il passé dans l’histoire de Vénus pour qu’elle devienne à ce point infernale ?
« La différence entre Mars et la Terre est assez simple à expliquer, déclare Emmanuel Marcq. Non seulement Mars est plus loin du Soleil, mais en plus, elle est dix fois moins massive que la Terre. En revanche, pour Vénus, la divergence est plus compliquée à saisir. Elle est certes 30 % plus près du Soleil que nous, et reçoit donc deux fois plus de rayonnement solaire, mais est-ce que cela suffit pour expliquer son état actuel ? »
La question de l’eau se pose notamment pour la planète la plus sèche du Système solaire. « Vénus est 100 000 fois plus aride que la Terre. Si on condensait toute la vapeur d’eau de Vénus, cela ne représenterait qu’une fine pellicule de 3 cm de profondeur, alors que sur Terre nos océans ont une profondeur moyenne de 3 km ! », s’amuse Emmanuel Marcq. Beaucoup d’autres questions restent encore sans réponse. Le noyau est-il solide ou liquide ? Existe-t-il une activité volcanique, tectonique ? Quelle est la nature des roches de surface ? « On parle de planétologie comparée, précise Thomas Widemann. Pour mieux comprendre l’histoire de la Terre, on étudie d’autres planètes et on compare leurs parcours. Ce besoin de connaissance est accéléré par la crise climatique que l’on cherche à prédire et maîtriser. » Autre intérêt de cette discipline : classifier plus rapidement chaque exoplanète que l’on découvre au fur à mesure : s’agit-il plutôt d’une « exo-Terre » ou d’une « exo-Vénus » ? Quels critères, en particulier géodynamiques et géophysiques, déterminent qu'une planète terrestre devient habitable, ou cesse d'être habitable ? Et sur quelles échelles de temps ?
Trois missions pour Vénus
La mission Veritas (Venus Emissivity, Radio Science, InSAR, Topography, and Spectroscopy) de la NASA sera la première à rejoindre notre mystérieuse voisine et orbitera autour d’elle pendant deux ans et demi. Grâce à son radar, elle dressera une carte de l’ensemble de la surface avec une résolution de 30 mètres, qui sera abaissée à 15 mètres pour un quart de la planète. À titre de comparaison, les cartes de Magellan (1990-1994) avaient été réalisées avec une résolution comprise entre 300 et 120 mètres ! « Il faut garder à l’esprit que plus la résolution est fine, plus les images sont volumineuses et donc coûteuses en termes de ressources à envoyer sur Terre », rappelle Thomas Widemann. Elle produira également une reconstruction 3D de la topographie de la planète. L’objectif est de comprendre son évolution géologique et de déterminer si des processus de tectonique et de volcanisme sont encore à l’œuvre aujourd’hui. Veritas cartographiera aussi les émissions infrarouges de la surface afin de déterminer le type de roches qui s’y trouvent et savoir si des volcans relâchent de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. « L’avantage de la très haute température du sol est qu’il brille dans l’infrarouge, explique Thomas Widemann. En analysant ce rayonnement par spectroscopie, on parvient à étudier la minéralogie à distance. »
La mission de la NASA, Davinci (Deep Atmosphere Venus Investigation of Noble gases, Chemistry, and Imaging), sera la suivante à décoller. Elle lâchera une sonde qui descendra à travers l’atmosphère jusqu’au sol. La descente durera environ une heure. « C’est un one shot, précise Thomas Widemann. Plus la sonde va s’approcher du sol, plus elle sera soumise à des conditions de température et de pression agressives. Les Américains ont donc mis au point des instruments très résistants. » Les objectifs : obtenir des données in situ sur l’atmosphère (structure verticale, composition, analyse chimique et isotopique) et imager, à plusieurs échelles, l'une des tesseræ. Ces formations géologiques, qui n’existent que sur Vénus, sont constituées majoritairement de terrains anciens fracturés et “pliés” dans plusieurs directions. Ils pourraient être comparables aux continents terrestres, suggérant que Vénus aurait des processus tectoniques voisins de ceux de la Terre et un passé plus riche en eau.
EnVision, la sonde de l’ESA avec une forte participation de la NASA, sera la dernière à décoller, au début des années 2030. Elle passera quatre ans en orbite polaire autour de Vénus. Ses objectifs sont similaires à ceux de Veritas pour l'étude de la surface, ce qui permettra d’observer l’évolution des régions les plus actives de la planète entre les deux missions. Leurs stratégies d’observation diffèrent toutefois puisqu’EnVision va cartographier 30 % de la planète avec une résolution de 30 mètres, abaissée à 10 mètres pour les zones qui semblent les plus actives géologiquement. Elle pourra, au contraire de Veritas, repasser plusieurs fois au-dessus de certaines régions et effectuer une imagerie radar en stéréo, ainsi que des mesures de polarimétrie et de radiométrie sous plusieurs angles d'incidence pour mieux étudier les propriétés de la surface. Un second radar permettra de sonder sous la surface jusqu'à une profondeur théorique de 1000 m, afin de cartographier les volumes souterrains et leurs interfaces. Autre différence : alors que Veritas n’embarque que deux instruments, EnVision en aura cinq (deux radars et trois spectromètres), ce qui lui permettra d’étudier en continu l’atmosphère de Vénus et ses interactions avec la surface. « Il s’agit d’avoir une vision holistique de la planète en étudiant les couplages entre ses différentes enveloppes à toute échelle », précise Thomas Widemann.
Encore quelques années à patienter, mais ce trio de missions spatiales promet de lever bien des mystères sur notre voisine !
Marie Perez