Les tribulations de la recherche océanographique en Méditerranée orientale
Le bassin oriental est sans doute une des régions les plus critiques, mais aussi l’une des moins connues, pour le fonctionnement de la Méditerranée. La formation et la transformation des masses d’eau qui s’y opèrent ont une influence cruciale pour la dynamique du phytoplancton. Les eaux superficielles se densifient sous l’effet de l’évaporation intense et coulent lors de phénomènes locaux en hiver pour former des eaux dites intermédiaires. Ces eaux intermédiaires formées dans le bassin oriental se retrouvent dans l’ensemble de la méditerranée entre 200 et 800 m de profondeur. Pour comprendre l’évolution de ces eaux et leur impact sur le phytoplancton, l’acquisition de données de terrain sur un cycle annuel est nécessaire. Le plan initial de l’action PERLE, partagé avec une large communauté internationale, prévoyait des campagnes de mesure à 3 saisons successives pour couvrir les différents stades de formation et de dispersion des eaux intermédiaires et de l’activité biologique résultante. Cette stratégie avait montré toute sa pertinence lors des opérations DEWEX en Méditerranée occidentale.
Mais la Méditerranée orientale est le théâtre d’enjeux géopolitiques tels que les recherches sur les urgences environnementales, pourtant souvent porteuses de coopération internationale et de diplomatie scientifique, se sont vues entravées par les revendications territoriales, les exercices militaires et une bureaucratie tant complexe que contradictoire, auxquels se sont greffés des aléas financiers et sanitaires liés à la covid-19.
C’est ainsi que les campagnes océanographiques prévues dans le cadre de l’action PERLE ont dû être étalées sur 4 années au lieu d’une. De surcroît, l’accès à la région du tourbillon de Rhodes s’est révélé épineux. Située au croisement des eaux turques, chypriotes, grecques et égyptiennes, cette région suscite la convoitise en raison des ressources gazières de son sous-sol. Ainsi, du fait des tensions géopolitiques entre Grèce et Turquie, l’essentiel de cette zone clé nous a finalement été interdit d’accès en bateau et nous a obligés à improviser de nouveaux plans de navigation et donc d’échantillonnage. Nous avons toutefois réussi à acquérir des données uniques et précieuses dans cette zone grâce aux avancées technologiques des satellites et des plateformes autonomes, comme les flotteurs-profileurs et planeurs sous-marins de plus en plus performants. Pour finir, c’est la récupération d’une importante ligne de mouillage, immergée en début d’expérience, qui s’est retrouvée en suspens en raison d’un nouveau partage territorial entre la Grèce et l’Égypte ! Sa position, proche de la nouvelle ligne de partage, a rendu complexe l’obtention de l’autorisation de sa récupération.
La motivation des équipes scientifiques impliquées est cependant restée entière et leurs efforts tout au long de ces 4 années ont permis d’enrichir la connaissance de ces écosystèmes marins méconnus !
Légende
Carte de la zone d’étude, centrée sur le tourbillon de Rhodes, principale région de formation d’eau intermédiaire et d’activité biologique en Méditerranée orientale. Située à la croisée des zones économiques exclusives (ZEE) des pays riverains, elle fait l’objet de nombreuses revendications territoriales qui rendent difficiles les autorisations de travail.
#Mediterranée : A explorer aussi ...
Au sein du programme MISTRALS, plus de 1000 scientifiques de 23 pays ont étudié l’environnement et les changements globaux dans et autour de la mer Méditerranée, et publié plus de 1500 articles scientifiques. Coordonné par le CNRS, Mistrals est un programme commun entre l’Ademe, le CEA, l’Ifremer, INRAE, l’IRD et Météo-France. Retrouvez ici d'autres articles illustrant de ce grand programme. Lancé le 10 mars 2010, le programme de recherche Mistrals est arrivé à son terme. Retrouvez ici quelques articles illustrant ce grand programme.
- La Méditerranée, une mer sous pression
- La zone littorale, mémoire des évènements extrêmes du passé en Méditerranée
- Vers une meilleure gestion de l’eau agricole en Méditerranée du Sud
- Méditerranée : Quel avenir pour les coraux profonds ?
- Méditerranée : Une mosaïque de nuisances et de contaminations
- Méditerranée : L'observation spatiale pour le suivi des ressources en eau
- Méditerranée : Barrages et retrait du littoral au Maghreb
- Méditerranée : La recharge des aquifères
- Méditerranée : le rapport du réseau MedECC tire la sonnette d’alarme !
- Le circuit 3D des masses d’eau en Méditerranée
- Pluies extrêmes et crues en Méditerranée
- Évolution climatique des canicules océaniques en Méditerranée
- Méditerranée : des écosystèmes millénaires construits avec le feu
- Pollen et sécheresse en Méditerranée : vers un réseau de surveillance
- Vivre sur les collines Méditerranéennes au temps de la sècheresse
- Méditerranée : Sociétés du passé et changements climatiques
- Les chauves-souris, sentinelles des changements en Méditerranée
- Les oasis méditerranéennes
- Caresse d’éponge, caresse douce- amère
- Sinjajevina, un socio-écosystème méditerranéen millénaire
- Méditerranée : Crise de la circulation d’eaux profondes dans le passé
- Ces aérosols qui fertilisent la mer Méditerranée
- Le cycle saisonnier du phytoplancton en Méditerranée
- Alerte sur les formations d’eau dense en Méditerranée !
- La Méditerranée à bout de souffle
- Préparer les prévisions météorologiques de demain
- Les tribulations de la recherche océanographique en Méditerranée orientale
- Mieux anticiper les crues-éclair méditerranéennes et leurs impacts
- Le Sahara nourrit la Méditerranée !
- Impact de l’aérosol sur le bilan radiatif et le climat Méditerranéen