Une signature exotique dans la rémanence du Big Bang discrimine nombre de théories récentes décrivant l’univers primordial

Résultat scientifique Univers

L’inflation cosmologique, une époque d’expansion accélérée de l’univers primordial, fournit une explication naturelle à la présence de minuscules fluctuations d’énergie, qui constituent les graines à partir desquelles se développent les grandes structures de l’univers. Une équipe de l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP, CNRS / Sorbonne Université) explique que dans une grande classe de modèles inflationnaires motivés par la physique des hautes énergies, une instabilité induit une déviation importante au caractère gaussien de la statistique des fluctuations primordiales, excluant nombre de propositions théoriques récentes.

L’inflation cosmologique constitue le paradigme actuel de l’univers primordial. En effet, cette phase d’expansion accélérée permet non seulement d’expliquer l’homogénéité presque parfaite de l’univers, telle qu’observée dans le fond diffus cosmologique émis il y a plus de 13,8 milliards d’années, mais prédit aussi avec grande précision les propriétés statistiques des minuscules fluctuations d’énergie de celui-ci. Cependant, la théorie inflationnaire telle que décrite par les modèles les plus simples est difficile à inscrire dans un cadre théorique rigoureux. Il est par exemple notoire qu’un potentiel scalaire très plat, nécessaire pour ces modèles, n’est pas naturel dans une théorie quantique. Par conséquent, les tentatives pour rendre le paradigme inflationnaire plus cohérent sont nombreuses.

Les cosmologistes s’inspirent en particulier de théories de physique des hautes énergies — comme la théorie des cordes — pour proposer des scénarios plus satisfaisants. De manière générale, les objets fondamentaux dans ces modèles inflationnaires, appelés champs scalaires, évoluent dans un espace abstrait qui possède une géométrie non-triviale. Cet espace des champs exhibe souvent une courbure négative, rappelant les espaces hyperboliques. Dans ce cadre, les champs scalaires peuvent suivre des trajectoires courbes différant fortement des géodésiques de cet espace, permettant ainsi d’échapper aux contraintes usuelles comme la platitude du potentiel. Ce type de scénario exotique a été beaucoup étudié récemment, avec l’espoir de rendre l'inflation plus naturelle du point de vue de la physique des hautes énergies.

Mais une équipe de chercheurs de l’Institut d’Astrophysique de Paris montre que ces espoirs étaient mal placés : ces modèles sont en général sujet à une instabilité, passagère mais violente, qui est responsable d’une croissance exponentielle des fluctuations de densité primordiale. Puisque l’amplitude des perturbations à la fin de l’inflation est fixée par l’observation du fond diffus cosmologique, cette instabilité ne peut pas s’observer par son amplitude générale. Cependant, elle laisse une signature plus subtile, mais claire : les propriétés statistiques des fluctuations primordiales ne peuvent plus être décrites, comme dans le cas simple sans instabilité, par une distribution gaussienne. En utilisant une méthode de théorie des champs, appelée théorie effective et basée sur la séparation des échelles d’énergie mises en jeu, les physiciens ont montré que ces effets, appelés non-gaussianités, sont suffisamment importants pour discriminer ces modèles au vu des observations cosmologiques.

En effet, les données actuelles les plus précises, provenant du satellite européen Planck, ne font pas état de déviation au caractère gaussien de la distribution des fluctuations primordiales. Les modèles où l’instabilité dure trop longtemps et où les non-gaussianités sont donc trop importantes, sont par conséquent exclus par l’analyse des chercheurs. A l’inverse, la possible détection future de non-gaussianités du type distinctif qu’ils ont déterminé donnerait une indication très forte en faveur de ceux de ces nouveaux modèles où l’instabilité est présente mais de manière modérée.

Ce travail, publié dans la revue Physical Review Letters, constitue une avancée importante dans la compréhension de l’univers primordial lorsqu’il est décrit par des modèles inspirés de physique fondamentale. Il illustre parfaitement l’interaction fructueuse entre observations cosmologiques et physique des hautes énergies, en l’occurrence comment l’utilisation des données du satellite Planck a permis d’exclure ou de contraindre des propositions théoriques intéressantes.

Amplification exponentielle des spectres de puissance, normalisés à leur valeur sans instabilité, des fluctuations perpendiculaires à la trajectoire inflationnaire (orange) et parallèles à celle-ci (noir). Ce dernier type correspond aux fluctuations de densité d’énergie observées dans le fond diffus cosmologique.

Références

Jacopo Fumagalli, Sebastian Garcia-Saenz, Lucas Pinol, Sébastien Renaux-Petel, John Ronayne. Hyper-Non-Gaussianities in Inflation with Strongly Nongeodesic Motion. Physical Review Letters (2019) doi: 10.1103/PhysRevLett.123.201302

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