Quand les plastiques révèlent nos lacunes sur la dispersion à la surface des océans…
Les études du devenir des plastiques flottants à la surface de l’océan global sont primordiales pour mieux comprendre l’impact de ces déchets sur les écosystèmes marins et pour envisager des mesures d’atténuation à grande échelle. Une étude menée par des chercheurs du Laboratoire d'océanographie physique et spatiale (LOPS/IUEM, CNRS / UBO / Ifremer / IRD) montre que la dispersion à l’échelle de l’océan Indien Sud par des modèles numériques de la circulation océanique révèle nos lacunes sur les processus physiques à considérer et sur l’absence d’observations in situ qui permettraient de démontrer définitivement l’existence « réelle » (ou la non-accumulation) d’une zone de convergence dans cette région de l’hémisphère sud.
Vantés pour leur durabilité, les plastiques contaminent aujourd’hui tous les milieux naturels de notre planète et représentent une menace potentielle pour la santé humaine. Les océans, notamment, sont un réceptacle inévitable des déchets plastiques. Avec un taux de rejet autour des 10 millions de tonnes par an, ces déchets plastiques altèrent les conditions environnementales marines, sans que l’on connaisse précisément leur écotoxicité sur les écosystèmes marins.
D’un point de vue dynamique, plusieurs études scientifiques à l’échelle globale des océans ont montré que les déchets flottants en surface1
s’accumulent dans des régions situées au centre des gyres subtropicaux, qui sont des zones de convergence sous l’effet conjugué de l’action du vent et des courants marins2
.
Pour autant l’étude précise de la dispersion de ces objets flottants reste complexe car elle implique différents processus physiques tel que l’effet du vent (une poussée s’appliquant directement sur la partie émergée dans l’air de l’objet) et la dérive de Stokes qui est un déplacement supplémentaire lié aux vagues dans un champ de courant (action qui s’applique sur la partie submergée de l’objet). Les vagues représentent un mouvement marin dont nous sommes immédiatement conscients lorsque nous prenons place à bord d’un navire, alors que la dérive de Stokes devient perceptible uniquement sur le long terme et à travers le déplacement net qui en résulte.
Pour étudier l’effet de ce dernier processus sur la convergence des déchets flottants à l’échelle globale, des chercheurs du LOPS ont réalisé deux séries de simulations numériques : une de contrôle avec uniquement les courants marins de surface et une deuxième avec en plus la dérive de Stokes. Ils ont mis en évidence que l’océan Indien Sud montrait une plus forte sensibilité à la dérive de Stokes que les autres bassins océaniques dans la formation de ces zones de convergence subtropicale, avec des différences dans le positionnement du centre dans l’océan Indien Sud de plus de 30° de longitude. On notera aussi que l’accumulation atteinte à la fin des 29 années de simulation est bien moindre sous l’action conjointe de la dérive de Stokes et des courants, indiquant que, dans le modèle, le devenir des particules au sein de l’océan Indien Sud est soumis à un phénomène de « fuite » vers l’océan Atlantique Sud.
Ce dernier point contraste avec des résultats précédemment obtenus qui avaient mis en évidence une porte de sortie ou bien encore une connexion possible entre l’océan Indien Sud et la zone de convergence de l’océan Pacifique Sud, via le sud de l’Australie et le contournement de la Nouvelle Zélande. En revanche, la présente étude réconcilie les analyses précédentes qui utilisaient les données de bouées dérivantes de surface conçues pour la mesure des courants à 15 m de profondeur, mais qui subissent l’effet du vent et de la dérive de Stokes en surface lorsqu’elles ont perdu leur ancre flottante) et les modèles numériques de la dynamique océanique à grande échelle (qui prennent en compte l’effet du vent sur les courants de surface mais ne considèrent pas l’effet des vagues et de la houle).
Cette étude montre aussi tout le chemin qu’il reste à parcourir pour prendre en compte l’ensemble des processus physiques qui s’appliquent à la dérive et la dispersion des objets flottants à la surface des océans, révélant les lacunes profondes de notre connaissance dans ce domaine à l’échelle d’un bassin océanique, et plus généralement à l’échelle de l’ensemble de l’océan global.
Pour ce qui concerne les déchets plastiques il faudra impérativement compléter ces études numériques avec la collecte d’observations in situ et spatiales tel que cela est proposé par la communauté internationale3
au travers de l’initiative IMDOS (Maximenko et al. 2019) qui sera présentée lors des débats de la prochaine conférence OCEANOBS19 (An ocean of opportunity : http://www.oceanobs19.net/) programmée pour septembre 2019. La prochaine décennie sera cruciale pour l’appréhension du problème de la pollution de tous types des océans, en particulier pour atteindre l’une des premières cibles de l’Objectif du Développement Durable, ODD numéro 14 qui rappelons-le, est de « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».
- 1On estime que la moitié des plastiques produits à l’échelle globale possède une densité moins importante que l’eau de mer et que, par conséquent, ils flottent à la surface des océans.
- 2Voir la vidéo de la formation de ces zones de convergence : https://www.odatis-ocean.fr/actualites/actualites-a-la-une/dispersion-et-super-convergence-au-coeur-des-oceans
- 3SCOR Working Group 153: Floating Litter and its Oceanic TranSport Analysis and Modelling (FLOTSAM), http://scor-flotsam.it/
Source
Dobler D, Huck T, Maes C, Grima N, Blanke B, Martinez E and Ardhuin F (2019): Large impact of Stokes drift on the fate of surface floating debris in the South Indian Basin. Marine Pollution Bulletin, 148 202–9, sous presse.