Premières analyses du δ13C et du Δ14C de glucides issus d’échantillons marins et atmosphériques

Résultat scientifique Océan Atmosphère

Les glucides sont des molécules organiques omniprésentes dans les écosystèmes marins et terrestres. Ceci rend leurs sources (δ13C) et leur devenir (Δ14C) très difficiles à tracer au sein du stock de matière organique. Une équipe franco-américaine1 vient de réussir, après une longue série de séparations par chromatographie liquide, à purifier certains glucides ce qui leur a permis de réaliser pour la première fois des analyses isotopiques en δ13C et Δ14C par spectrométrie de masse.

  • 1Les laboratoires et institutions impliqués sont les suivants : l'Institut méditerranéen d’océanographie (MIO/PYTHÉAS, CNRS / Université de Toulon / IRD / AMU), le Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CEREGE/PYTHÉAS, CNRS / AMU / IRD / Collège de France) et le Woods Hole Oceanographic institution (WHOI, USA)

La compréhension de la dynamique du cycle du carbone nécessite une caractérisation à l’échelle moléculaire de la matière organique terrestre et marine, et une détermination des valeurs des rapports δ13C et Δ14C de ses différentes composantes, afin d’affiner les connaissances sur son origine et sa réactivité. Jusqu’à présent, ceci n’était pas réalisable en raison de la très faible abondance naturelle en 13C et 14C, des très faibles concentrations des composés individuels (niveau nanomolaire) et surtout des difficultés analytiques liées à l’isolement de ces composés de matrices environnementales complexes.
Les travaux pionniers de P. Williams dans les années 1970 et 1980 ont permis de déterminer l’âge moyen de la matière organique dissoute dans l’océan entre 6000 ans (Pacifique) et 4000 ans (Atlantique), mais très peu de données existent sur l’âge des composés moléculaires qui contribuent à ces moyennes. Ceci est essentiellement dû à la difficulté de les extraire sans contamination, mais aussi à la nécessité de disposer de matériel en quantité suffisante (> 50 µg) pour une analyse fiable par AMS (spectrométrie de masse par accélérateur). Ainsi, seules les signatures isotopiques en 13C et 14C des lipides ont pu être étudiées de manière exhaustive, en raison de leur nature hydrophobe qui facilite leur purification à partir d’échantillons environnementaux.
Des études antérieures sur les glucides océaniques ont montré que ces composés font partie de la fraction moderne (c’est-à-dire la fraction photosynthétisée récemment). Cependant, ces travaux se sont limités à la fraction hydrophile contenant ces composés. Par conséquent, les glucides n’ont jamais été directement séparés pour l’analyse du 14C.

Un groupe de chercheurs du MIO, du CEREGE et du WHOI a pu mettre au point pour la première fois une procédure d’extraction et de purification de glucides individuels à partir de particules fines atmosphériques et de matière organique marine particulaire. Ces glucides ont été identifiés, après comparaison avec des standards, par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse à temps de vol (LC-Q-TOF-MS), puis analysés pour le 13C et 14C à l’aide respectivement de EA-IRMS et EA-AixMICADAS, des spectromètres de masse de nouvelle génération (https://www.cerege.fr/fr/laboratoire-de-geochimie-organique-inorganique-et-isotopique/unite-du-radiocarbone ).

Il est important de rappeler qu’une analyse spécifique en 14C par AMS des glucides requiert plusieurs molécules de glucides. Par exemple, 8 x 1016 molécules de glucose (C6H12O6) dans 10 µg C d’échantillon sont nécessaires pour une analyse par AMS, sachant que très peu de ces molécules (~ 7 x 10-10 %) possèdent des atomes 14C (un atome 14C pour un milliard d’atomes 12C).

Les résultats de cette étude ont montré que le δ13C des glucides de la matière organique marine particulaire varie de −18.5 à −16.8 ‰ (source marine), à l’exception du lévoglucosane et du mannosane montrant respectivement des valeurs de −27.2 et −26.2 ‰ et suggérant une origine différente pour ces glucides, probablement une source terrestre de feux de biomasse. Les valeurs en Δ14C du galactose et du glucose sont respectivement égales à 19 à 43 ‰.
Pour l’échantillon atmosphérique, les valeurs en δ13C des glucides sont plus homogènes et varient entre 27.2 et −26.2 ‰, ce qui indique une source terrestre. La valeur en Δ14C du lévoglucosane est +33 ‰. Ces valeurs du Δ14C des glucides indiquent clairement un âge moderne et suggèrent que les glucides détectés sont essentiellement des produits dérivés de la photosynthèse parce qu’ils portent la signature isotopique en Δ14C du dioxyde de carbone atmosphérique (CO2). Ce résultat prouve la part significative des glucides d’âge moderne au sein du pool de matière organique terrestre et marine.

Illustration scientifique
Procédure analytique pour l’extraction et les mesures isotopiques des glucides

 

Source

Amel Nouara, Christos Panagiotopoulos, Jérôme Balesdent, Kalliopi Violaki, Edouard Bard, Yoann Fagault, Daniel Repeta, Richard Sempéré (2019). Liquid chromatographic isolation of individual carbohydrates from atmospheric and marine samples for stable carbon analysis and radiocarbon dating. Analytica Chimica Acta. https://doi.org/10.1016/j.aca.2019.03.028

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Christos Panagiotopoulos
MIO/PYTHÉAS