L’île de Pâques sous la menace de la pollution aux plastiques marins
Bien que située loin des côtes au milieu de l’océan Pacifique Sud, l’île de Pâques souffre d’une accumulation de déchets plastiques. Dans le cadre du programme ESMOI dédié à l’étude des îles chiliennes et auquel l’équipe SYSCO2 du Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS/OMP, UPS / CNRS / CNES / IRD) est affiliée, des chercheurs se sont intéressés au transit rapide de déchets vers l’île de Pâques et ont pu identifier l’origine probable de cette contamination. L’île de Pâques s’avère être fortement connectée sur des échelles de temps courtes, inférieures à 2 ans, à la zone de pêche intensive située au large du Pérou et aux zones côtières densément peuplées du continent sud-américain.
Les gyres subtropicaux sont les régions océaniques où les déchets plastiques s'accumulent sur de longues périodes, formant ce que l’on appelle communément le 7e continent. Les îles océaniques perturbent généralement le trajet vers ces zones d’accumulation des déchets plastiques et ces derniers peuvent alors s’échouer sur des îles aussi isolées du reste du monde que l’île de Pâques (Rapa Nui), au milieu de l’océan Pacifique Sud. Cette contamination plastique a bien sûr des conséquences graves pour la vie marine et la biodiversité. L’île de Pâques, pourtant éloignée de toute source de déchets d’origine terrestre, souffre particulièrement de cette contamination transportée par les courants océaniques sur de longues distances.
Dans le cadre du programme ESMOI (www.esmoi.cl) dédié à l’étude des îles chiliennes et auquel l’équipe SYSCO2 du LEGOS est affiliée, des chercheurs ont identifié, à partir de simulations de dérives lagrangiennes, les régions côtières et marines du Pacifique Sud qui à la fois émettent de grandes quantités de déchets plastiques et sont les plus connectées à l’île de Pâques pour des échelles temporelles inférieures à dix ans.
Ils ont également pu modéliser les parcours des déchets flottants (généralement macroplastiques) ou à flottabilité neutre (microplastiques), à l’aide de grands ensembles de particules virtuelles ensemencées dans les champs de vitesse des courants océaniques modélisés. Ils ont ainsi pu mettre en évidence les chemins d’advection qui, à la fois, mènent à l’île de Pâques depuis la côte ou depuis les zones de pêche intensive et sont les plus rapides et les plus empruntés par ces particules.
Alors qu’on suppose généralement que les niveaux de contamination dans les îles du large dépendent de leur distance par rapport aux gyres où les plastiques s’accumulent depuis des décennies, les résultats de cette étude indiquent une forte connectivité sur des échelles de temps relativement courtes (< 2 ans) entre l’île de Pâques et le continent sud-américain, en particulier avec les côtes chiliennes entre 20°S et 40°S, où l’on trouve la plus forte densité de population. De même, il existe une forte connectivité avec la zone de pêche au large du Pérou, ce qui suggère une contamination par les rejets des flottes de pêche industrielle. Au contraire, la connectivité est très faible et plus lente avec l’ouest du bassin. Enfin, une dérive des particules par les courants 3D (qui pourrait être empruntée par certains microdéchets) montre qu’une partie non négligeable des particules pourrait se disperser en profondeur (10-100 m), soit à des profondeurs non échantillonnées par les campagnes de recensement du plastique.
Cette étude illustre le rôle de la connectivité océanique « rapide » dans l’exposition aux déchets plastiques marins et suggère que des stratégies efficaces pour atténuer l’exposition aux déchets plastiques et protéger les réserves marines pourraient être mises en œuvre à l’échelle régionale.
Ce travail a été réalisé en collaboration avec Mercator-Océan et le NOC qui ont fourni les jeux de simulations océaniques.
Source
S.J. van Gennip., B. Dewitte, V. Garçon, M. Thiel, E. Popova, Y. Drillet, M. Ramos, B. Yannicelli, L. Bravo, N. Ory, G. Luna-Jorquera and C. F. Gaymer, 2019 : In search for the sources of plastic marine litter that contaminates the Easter Island Ecoregion, Nature Scientific Report, https ://www.nature.com/articles/s41598-019-56012-x