Les isotopes du soufre, marqueurs d’une croûte océanique vieille de plus de 2,45 milliards d’années préservée dans le manteau

Terre Solide

La découverte de signatures anormales en isotopes du soufre dans les laves d’un volcan de point chaud des Iles Cook (Polynésie) confirme la présence dans le manteau terrestre profond d’une croûte océanique très ancienne, vieille d’au moins 2,45 milliards d’années. Ces échantillons extrêmement rares confirment définitivement l’hypothèse du recyclage des matériaux de la croûte océanique par enfouissement (subduction), ainsi que son stockage et sa remontée par le volcanisme. Ces travaux menés par une équipe de chercheurs français du Laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand (CNRS/Université Blaise Pascal/IRD), américains et suédois sont publiés dans la revue Nature le 25 avril 2013.

On considère généralement que les laves basaltiques émises par les volcans intraplaques océaniques, tels les volcans d'Hawaii ou de la Réunion, peuvent avoir été contaminés par des matériaux issus d’anciennes croûtes océaniques. Ces matériaux, après avoir été incorporés au manteau terrestre à la faveur de subductions, ont été dispersés dans le manteau par convection, avant de remonter vers la surface au niveau des points chauds. Cependant, leur temps de résidence dans le manteau est incertain et les preuves convaincantes de leur retour à la surface font défaut.

Les laves de Mangaia étudiées ici ont été mises en place il y a 20 millions d'années. Pour la communauté des géochimistes, leur composition est la marque d'une contamination par de la croûte océanique recyclée. Hypothèse que l'équipe a étudié par l'analyse des isotopes du soufre.

Le soufre marqueur du recyclage de la croûte océanique
Sur la Terre, la majorité des fractionnements isotopiques (le fait qu'un isotope s'incorpore à une phase plutôt qu'une autre) dépendent de la différence de masse entre les isotopes d'un même élément. Pour le soufre, le fractionnement entre le 33S et le 32S est 0,5 fois celui du 34S par rapport au 32S.

Certains processus cependant ne respectent pas cette loi dite de « fractionnement dépendant de la masse » (MDF), on parle alors de “fractionnement indépendant de la masse” (MIF). Il s'agit en particulier de la dissociation des molécules SO2 par le rayonnement ultra violet solaire, dans l'atmosphère, pour former des molécules de soufre élémentaire (S0) et des sulfates. Le soufre ainsi formé est caractérisé par une anomalie des rapports isotopiques positive (notée anomalie Δ33S) et les sulfates montrent une anomalie Δ33S négative.
 
A l’échelle des temps géologiques on trouve beaucoup de signatures de MIF pour le soufre, avant 2,45 Ga car la Terre n’avait pas alors de couche d’ozone protectrice (peu d’oxygène) et les rayonnements ultra violets atteignaient sa surface. De plus il n'existe presque aucune signature MIF de soufre après 2,45 Ga. Ces compositions en isotopes de soufre sont incorpores dans les sediments. De ce fait, des fractionnements isotopiques de soufre indépendants de la masse (MIF) peuvent être à la fois le marqueur d’un passage à la surface de la Terre et d’une époque très ancienne (plus vieille que 2,45 milliards d’années).

L'analyse des isotopes du soufre (33S/32S et 34S/32S) in situ par sonde ionique sur des sulfures en inclusion dans des olivines de laves basaltiques provenant des îles océaniques de Mangaia (Iles Cook, Polynésie) montre des fractionnements indépendants de la masse négatifs (Δ33S aussi faible que -0.34 ± 0.08‰,). Pour les auteurs, ces nouvelles mesures de Δ33S apportent, pour la première fois, la preuve définitive de la préservation du soufre archéen dans le manteau et donc de croûte océanique vieille de plus de 2,45 Ga. Le cycle du soufre s’étend de l'atmosphère, aux océans, à la croûte et au manteau, et, finalement, ici le cycle est bouclé avec un retour à la surface achevé au niveau des laves de Mangaia.

Sources

Anomalous Sulfur Isotopes in Plume Lavas Reveal Deep Mantle Storage of Archean Crust, Rita A. Cabral, Matthew G. Jackson, Estelle F. Rose-Koga, Kenneth T. Koga, Martin J. Whitehouse, Michael A. Antonelli, James Farquhar, James M.D. Day, Erik H. Hauri. Nature 04/2013; 496(7446):490-3. DOI:10.1038/nature12020

Contact

Estelle Rose-Koga
Laboratoire Magmas et Volcans (Université Blaise Pascal, CNRS, OPGC)
Kenneth Koga
Laboratoire Magmas et Volcans (Université Blaise Pascal, CNRS, OPGC)